Cap
Le développement durable est un changement de cap. Un changement de cap pour l’humanité qui s’était orienté en fonction de l’immensité de la planète. Elle est aujourd’hui petite (1), la boussole d’hier ne fonctionne plus.
Changer de cap est une décision importante. Elle peut inquiéter, si elle ouvre la voie à l’inconnu, mais elle n’est pas pour autant synonyme d’épreuve ni de sacrifice. Le développement durable est un changement de cap, souvent associé à la douleur et à un coût. Ne parle-ton pas fréquemment de coût de l’environnement, du financement de la transition énergétique ? Le changement de cap aurait un coût, difficile à prendre en charge quand la crise est latente, quand la compétition internationale devient de plus en plus sévère.
C’est justement pour ne pas s’exposer à des coûts insurmontables qu’il faut s’engager vers le développement durable. Dans son rapport sur le coût du dérèglement climatique, Nicholas Stern montre qu’à l’échelle de la planète le changement de cap est « rentable ». Mais les décisions sont souvent prises en référence à la « microéconomie », celle de la vie courante et des intérêts immédiats, plutôt qu’à la macroéconomie. Le changement de cap est-il aussi intéressant à l’échelle de la proximité ?
Prenons deux exemples de la vie courante, l’alimentation et la voiture.
Passer au bio coûte plus cher. Les rendements sont moins bons, et il faut plus de travail humain. Ce n’est sans doute pas une fatalité, mais admettons le pour l’instant, puisque c’est l’opinion dominante. Mais le changement de cap ne concerne pas que l’origine des produits, il nous conduit à s’interroger sur notre alimentation, qui doit à la fois satisfaire un besoin et nous procurer du plaisir. Il faut revisiter notre assiette. Nous mangeons souvent trop, et en particulier trop de viande et de produits animaux. Même de qualité médiocre, ces produits coûtent plus cher que les végétaux, légumes et céréales, et le changement de régime, moins carné et plus végétal, contient en soi une source d’économies substantielles. Avec le changement de cap, chaque unité de produit coute plus cher, mais le nouvel équilibre est bien plus économique, les économies sur la viande venant compenser et au-delà les dépenses supplémentaires en légumes. Et on peut se permettre le luxe de ne manger que de la bonne viande, en quantité réduite mais autrement plus gouteuse que celle des élevages industriels.
Les voitures non polluantes coutent plus cher que les modèles classiques, et les exigences environnementales font monter les prix. Admettons, encore une fois, même si ça peut se discuter. A-t-on chacun besoin d’une voiture ? Une voiture particulière ne roule que 5% de son temps, et passe les 95% restant au stationnement. Un vrai gâchis. On doit pouvoir mieux faire. Une voiture quand on en a besoin, et uniquement quand on en a besoin, ce serait beaucoup mieux. Location ou partage, voilà des voies de progrès qui sont à portée de main, et trouvent de plus en plus d’adeptes. Au total, le budget « voiture » pourrait être fortement réduit à condition d’accepter de ne pas en être propriétaire. Le gain serait bien supérieur aux dépenses supplémentaires qu’entrainent des exigences environnementales, d’économies d’énergie et de sécurité.
Voilà donc deux postes lourds dans le budget des ménages qui seraient allégés en cas de changement de cap. Le raisonnement pourrait aisément être étendu à d’autres postes, tels que le logement. Refuser de changer de cap, ou le faire trop lentement, en traînant les pieds, c’est accepter que les exigences environnementales s’imposent malgré tout à un plus haut niveau, et coutent alors beaucoup plus cher. Nous les ressentons déjà pour la plupart, provoquées par des pollutions de toutes natures, dans l’air que nous respirons et les couches atmosphériques qui nous protègent, dans l’eau douce et les océans, dans les sols. D’ores et déjà, le coût de la pollution de l’air extérieur est évalué à 100 milliards d’euros, celui du bruit à une soixantaine de milliards d’euros.
Ajoutons que le changement de cap nous conduit à de nouvelles approches, avec leur part de bénéfices pour la collectivité. La construction de demain sera multifonction. En plus d’être un lieu de vie ou d’activité, le bâtiment du futur sera une centrale d’énergie et un instrument de régulation du régime des eaux, et peut-être bien d’autres choses encore. Le décloisonnement des approches, que le changement de cap provoquera inévitablement, ouvre de nombreuses et heureuses perspectives. Pour en profiter, il faut juste accepter de changer, et c’est ça qui est le plus difficile…
1 - « Nous n’habitons plus la même planète que nos aieux. La leur était immense, la nôtre est petite ». Bertrand de Jouvenel, Arcadie, essai sur le mieux vivre, 1968
- Vues : 1992
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