Sevrage
La facilité d’accès à une ressource nous en rend aisément dépendant. Et puis vient un jour où cette facilité disparait. Il va falloir s’en passer, ou en réduire l’utilisation. Un sevrage, une épreuve incontournable.
La lutte contre le réchauffement climatique conduit à la réduction de la consommation d’énergie fossile. Une réduction qui, pour être durable, ne peut s’opérer au détriment de la qualité de vie, de la production des biens et services qui répondent à nos besoins et font notre bonheur.
L’énergie abondante et pas cher, nous savons que c’est terminé, même si certains rêvent de sources éternelles et infinies, hypothèses bien hasardeuses sur lesquelles il serait dangereux de fonder l’avenir de l’humanité. On parle maintenant d’efficacité énergétique, à savoir rendre le maximum de service avec la moindre unité d’énergie. L’énergie facile nous a dopé, il va falloir à présent apprendre à s’en passer, c’est une sorte de sevrage de l’économie qu’il faut engager. Toujours douloureux, mais libérateur, étape essentielle pour aller de l’avant.
L’énergie est souvent associée à mobilité. Celle-ci est grande consommatrice, et productrice de gaz à effet de serre, et il est souvent admis qu’on ne peut s’en passer, que la vitalité de l’économie en dépend. « Priorité à la mobilité » peut-on voir comme devise d’automobile-clubs. Ne vaut-il pas mieux dire « priorité au bien-être », qui est un objectif en soi, alors que la mobilité n’est qu’un moyen ? La mobilité, pour quoi faire ?
Une première approche consiste à réduire l’impact de ladite mobilité. On parle de voitures propres et silencieuses, de mobilité douce, de transports collectifs et de covoiturage, de rail et de voie d’eau. Un progrès, mais sans doute insuffisant.
Réjouissons-nous quand même de cette évolution, toujours bonne à engranger. Un grand groupe commercial a inauguré récemment, le 1er octobre 2012, son approvisionnement parisien par voie d’eau. Les péniches apportent chaque jour 26 conteneurs au cœur de Paris, au port de la Bourdonnais, qui sont ensuite répartis sur 80 magasins. L’entrée dans la ville, les 20 kilomètres les plus sensibles, évite la route et ses encombrements. 450 000 km en camion économisés, soit une réduction de plus d’un tiers, 37% exactement selon l’ADEME, des émissions de CO². Du gagnant-gagnant. Tout le monde s’y retrouve, l’entreprise, les riverains des routes anciennement traversées, et la planète. Une initiative pour ce type de commerce qui prolonge d’autres efforts déjà fructueux, comme l’approvisionnement par voie de chemin de fer retenu par d’autres sociétés.
Voilà une première manière de réduire l’impact de la mobilité, mais jusqu’à quand ? La croissance de la consommation, parfois attisée par l’effet « rebond », ne va-t-elle pas reprendre d’une main ce que l’on a eu du mal à gagner de l’autre ? Puisque l’on est plus performant et que l’on est moins polluant, allons-y gaiment, pourrait-on dire en langage familier. Il faut aller plus loin.
Mieux remplir les voitures, les autobus, les avions, les trains et les camions, est une autre piste. Moins de mouvement d’engins, pour un volume de transport de passagers ou de marchandises équivalent. L’informatique et les smart phones permettent d’apporter une meilleure information aux usagers, qui peuvent se regrouper, et mieux utiliser le potentiel existant. La location facile, de voiture et de camions, permet de choisir le mode de transport le mieux adapté, et de réduire des consommations devenues superflues. On a même maintenant pour les particuliers du covoiturage de bagages ! Bravo pour ces initiatives.
Mais pendant que certains font des efforts, on voit le besoin de mobilité s’accroître. Pour des raisons d’efficacité, de qualité de service, ou même de sécurité, par exemple pour les cliniques d’accouchement, des centres de service se concentrent, et s’éloignent de ce fait de leurs usagers. Hôpitaux et tribunaux en sont des exemples bien connus, qui créent des remous dans les villes privées de ces équipements. On pourrait évoquer aussi les établissements industriels, et leur tendance à se concentrer en de grandes unités. La tendance est-elle irréversible, n’y a-t-il pas, grâce notamment à l’informatique, possibilité de déconcentrer ces services et ces entreprises, avec des maillages plus fins sur les territoires concernés ?
Pour les affaires, on sait que le nombre de contacts que l’on peut établir est déterminant. Pendant longtemps, ce contact était physique avant tout, et la mobilité était la condition du développement. Est-ce toujours le cas, ne peut-on créer d’autres manières de faire connaissance. Les grandes villes dans le monde ont réduit le trafic automobile, et il ne semble pas que leur « PIB », leur degré d’activité, n’en ait été affecté.
On arrive ainsi à la notion de sevrage. Peut-on réduire le besoin de mobilité tout en maintenant et même en améliorant un bon niveau de prospérité économique et sociale ? Nous avons qu’il existe une part de la mobilité dite « contrainte ». Pouvons-nous la réduire, en s’organisant différemment, en faisant circuler l’information plutôt que les personnes et les marchandises ? Le « juste à temps » a permis de réduire les stocks, mais il a aussi conduit à ne plus anticiper, tant le transport était efficace et pas cher. C’est comme la machine à calcul qui fait perdre le sens du calcul mental. Et adieu l’économie territoriale. Avec un prix de transport sous évalué, du fait de la non prise en compte de nombreux coûts externes, comme celui du réchauffement climatique et des nuisances sonores, pour prendre deux exemples, l’un global et l’autres local, les distances ont fondu. Les délocalisations deviennent possibles, et même faciles, on oublie les saisons, la proximité est rangée au fond d’un placard.
Une meilleure évaluation du coût réel de la mobilité (voir par exemple la note Interne), conduit à revoir le choix de la « priorité à la mobilité ». On le sent, c’est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais. Il va falloir se sevrer pour éliminer la mauvaise mobilité.
Chronique mise en ligne le 25 mars 2013
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