Relâchement
Le chemin vers le développement durable ne demande pas forcément d'aller vite, mais de progresser avec détermination. Le relâchement est à éviter, mais la politique choisie pour entraîner le changement n'est pas toujours compatible avec cette exigence.
C’est le mot utilisé pour expliquer la montée en janvier dernier la remontée du nombre des morts sur les routes. La perspective d’une amnistie proclamée dans la foulée de l’élection présidentielle est à l’origine de cette dramatique dérive. Une seule solution, au-delà de l’engagement des principaux candidats à ne pas proposer d’amnistie pour les chauffards, la répression. L’efficacité des radars et des contrôles a provoqué un commencement de sagesse dans l’esprit des automobilistes, il faut donc continuer, et même augmenter la pression. Il n’y a que la sanction qu’ils comprennent !
Ces affirmations sont en général assorties d’un mépris pour les campagnes sur les comportements des conducteurs. La peur du gendarme et la perte de points sur le permis de conduire, ça donne de bien meilleurs résultats. Nous voilà repartis dans une opposition entre répression et prévention. Comme si les deux n’allaient pas de pair, comme si la perspective d’une sanction n’était pas la traduction logique de l’affirmation de la gravité du problème. Comme si on pouvait lancer de grandes campagnes de répression sans avoir préalablement obtenu l’assentiment du plus grand nombre. Ce n’est pas l’enthousiasme des foules qui est recherché, mais la neutralisation de minorités agissantes, de certains groupes d’automobilistes qui, à défaut, aurait tôt fait de se plaindre du harcèlement dont ils sont les victimes. Le monde de l’automobile est en effet conditionné par l’amour de ce merveilleux instrument de liberté, et pardonne volontiers les écarts quand ils sont les fruits de cet amour : quoi de plus naturel que de pousser un peu sa voiture, pour voir ce qu’elle a dans le ventre, de faire crisser les pneus pour voir comme elle tient bien la route, tout simplement de se faire plaisir au volant. L’accès à la voiture est en outre l’aboutissement d’une progression sociale dont on a bien le droit de profiter – on l’a bien mérité -, d’une recherche de position dans la société qu’il ne faut pas contrarier. Ajoutez à cela que la voiture est souvent indispensable pour travailler, ou pour aller travailler, et vous obtenez un résultat bien connu : la voiture est sacrée, et il ne faut pas embêter les automobilistes.
Contrôler et sanctionner les mauvais comportements au volant n’est donc pas chose naturelle. Le nombre de victimes, tués ou blessés, est tellement important qu’il devient une statistique, abstraite, dont on a du mal à comprendre la portée. La bonne gouvernance demande une part d’explication, de pédagogie. Elle demande aussi que les sanctions encourues soient effectives.
L’attitude de jacques Chirac est à cet égard éloquente. C’est le film de Karl Zéro et Michel Royer, Dans la peau de Jacques Chirac, sorti en mai 2006, qui le met en évidence, en rapprochant deux affirmations du président séparées de 20 ans. Dans la première, il fustige les tracasseries dont les automobilistes sont victimes, estimant que la police a mieux à faire, alors que dans la seconde, il condamne les comportements irresponsables de certains automobilistes, et souhaite la plus grande fermeté à leur égard. Le problème, c’est que ce n’est pas Jacques Chirac qui a changé d’avis, comme le film le suggère. C’est la société française. En 20 ans et plus de campagnes menées par les pouvoirs publics et certaines associations, l’opinion a pris conscience des enjeux, elle a basculé et admet aujourd’hui que les radars soient déployés en quantité le long de nos routes. Il faut continuer à la fois de communiquer et de sanctionner, car beaucoup n’ont pas encore assimilé la philosophie de la sécurité routière : si je boucle ma ceinture de sécurité, si je respecte les limitations de vitesse, ce n’est pas pour éviter une contravention, mais pour réduire le risque de me tuer. Et en prime, j’échappe au PV. La vertu est récompensée. La sécurité est avant tout une affaire de culture. La répression est un des moyens de la faire progresser, mais surement pas isolément. De même, si des campagnes d’information vous disent que le port de la ceinture est très important, et permet de sauver des milliers de vies humaines, personne ne comprendrait que la police reste indifférente face à des automobilistes non attachés. La fermeté de la police est en soi un acte de communication, et contribue à la constitution de la culture de la sécurité, à l’écriture du mode d’emploi de la vie au volant.
Le relâchement, s’il se confirme, ne provient pas d’une baisse des contrôles, mais de l’espoir d’échapper à la sanction. Les limites de la peur du gendarme se manifestent ainsi. Si les contrôles étaient perçus avant tout comme des instruments pour la sécurité de chacun, avant d’être des déclencheurs de sanction, la question du relâchement ne se poserait pas. Il y a donc encore bien des campagnes de communication à lancer.
On est bien loin du développement durable, objecteriez-vous. Et bien, la sécurité routière illustre parfaitement les enjeux de durabilité. Tout d'abord parce que les accidents de la route entraînent une perte formidable de valeur pour la société, de valeur humaine et économique, même s'ils font grimper le PIB. Ensuite, parce qu'il n'est pas concevable d'engager une politique de développement durable sans lutter contre la vulnérabilité d'une société, sous toutes ses formes. Et le tribut de milliers de vies humaines payé chaque année est une terrible faiblesse. Au-delà de cette réponse classique, construite à partir des enjeux économiques, sociaux et environnementaux des accidents de la route, permettez-moi pour conclure de mentionner la gouvernance et le mode de pensée. La bonne gouvernance, car la compréhension des lois par tous en est une des bases, de manière à éloigner tout sentiment d’injustice qui résulte de l’application de règles mal comprises. Le mode de pensée, car la sécurité routière illustre parfaitement la nécessité de conjuguer des approches qui pourraient, dans une vision trop rapide, être perçues comme antagonistes, éducation et répression, alors que l’une et l’autre ne peuvent que se renforcer. Le développement durable, c’est aussi savoir dépasser les contradictions, en sortir par le haut.
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