Global
Avec ses fameux "trois piliers", à prendre en compte ensemble, le développement durable prône une approche globale des choses de la vie. Mais attention aux pièges, le global a vite fait de noyer le poisson !
Quand j'entends le mot global, je sors mon revolver ! On a tôt fait, avec ce mot, de noyer le poisson, de faire croire que, tout étant dans tout et réciproquement, chacun doit s'occuper de tout, que tout le monde est compétent.
Dans la foulée, le développement durable est vite considéré comme un concept valise, attrape-tout, puisqu'avec ses trois dimensions, il s'occupe de tout ! Il est vrai que chaque domaine présente des interfaces avec bien d'autres, et qu'il faut avoir une idée d'ensemble. Penser globalement est nécessaire. Mais si on ne l'assortit pas d'une exigence de rigueur dans la pensée, on risque fort de tomber dans une espèce de magma informe, où l'on parle de tout, mais sans décrypter les liens de causalité, les moteurs, les cycles, les actions-réactions, qui permettent de s'infiltrer dans la complexité de la vie, et d'y trouver son bonheur. La dérive que le mot global entraîne souvent est de se substituer au concept de système, avec des acteurs, des forces, des stratégies, des réactions.
La difficulté de traduire le mot global dans les actes est illustrée par les mésaventures du coût global. Un concept de bon sens, mais qui ne parvient pas à s'imposer. Comment un bon gestionnaire ne pendrait-il pas en compte le coût de fonctionnement des installations qu'il commande ? D'accord, il y a la rigueur des budgets et les risques d'endettement excessifs, mais les endettements qui font faire des économies valent mieux que les économies qui entraînent des dépenses incontrôlées. Il y a la manière de calculer, les taux d'actualisation, les incertitudes sur les prix des fournitures, bien sûr, mais les ordres de grandeur, les masses en présence, sont telles que ces incertitudes ne pèsent pas grand chose. La réticence à intégrer la durée semble être plus culturelle que comptable, à moins qu'elle ne soit le fruit d'une organisation des responsabilités qui fait que le comptable des dépenses ne constate jamais les effets desdites dépenses, ce qui l'entraîne à chercher exclusivement à les restreindre, à résister au penchant « irresponsable » des décideurs à toujours dépenser. C'est un peu comme la prévention, dont on voit le coût en argent sonnant et trébuchant, alors que les coûts évités de sont que le fruit d'un calcul, abstrait et toujours contestable.
La version du coût global limitée aux coûts d'investissement et de fonctionnement est réductrice. Elle évacue l'essentiel de la question, en concentrant l'attention sur le moyen, et en oubliant la finalité. On ne construit pas un ouvrage pour lui-même, on n'achète pas une voiture ou un matériel lourd pour tourner en rond ou faire les trous du sapeur Camembert. Ces investissements répondent à un besoin. La manière de répondre à ce besoin, la qualité du service rendu, constituent les données économiques premières à intégrer. Si vous construisez une école, c'est la performance scolaire qui est la première valeur à examiner, valeur qui se traduit en argent comme en intégration sociale, en « sociabilité ». Un redoublement coûte cher à l'institution, à la famille de l'élève, à l'élève lui-même qui perd un peu de la confiance en lui qu'il avait, avec le risque de décrochage progressif et d'une sortie sans diplôme et une moindre efficacité économique. Si la performance scolaire du bâtiment n'est pas intégrée dans l'équation économique, celle-ci a-t-elle encore un sens ? De nombreuses études, réalisées dans plusieurs pays, montrent que la qualité de la lumière, les qualités acoustiques, le confort thermique, le volume de renouvellement de l'air dans les classes, influencent les résultats scolaires. C'est par exemple la conclusion d’un séminaire international organisé par le programme de l’OCDE pour la construction et l’équipement de l’éducation (1), où il est affirmé que les bâtiments éducatifs contribuent de manière cruciale à l’amélioration des résultats. (…) Les évolutions dans la conception de ces bâtiments se doivent de servir le processus éducatif et d’améliorer la qualité de l’environnement d’apprentissage. L'investissement nécessaire pour optimiser ces paramètres ne peut être compté dans la rubrique des coûts sans que les bénéfices obtenus ne soit comptés de leur côté. Une comptabilité, fut-elle publique, qui ne connaît que les coûts et ignore les services rendus est-elle légitime ? C'est sans doute à cause de cette césure que les résultats ne sont pas au rendez-vous : depuis la mise en œuvre de la décentralisation et l’investissement des collectivités, les réalisations se révèlent, à l’usage, malgré quelques réussites à souligner, souvent inadaptées à la vie scolaire quotidienne et fort coûteuses en maintenance et entretien. Les réhabilitations ne donnent pas plus de satisfaction au regard des pratiques pédagogiques. Il apparaît que la fonctionnalité, c'est-à-dire la vie quotidienne des élèves et des personnels, a souvent été oubliée ou mal conçue. (…) La force des habitudes, comme le poids des pressions multiples, empêche de concevoir l’école comme lieu de vie et de travail (2). Peut mieux faire, dirait-on dans un livret scolaire. Encore un effort pour être durable.
Avec le PIB, c'est l'inverse, on ne compte que les productions, en oubliant les prélèvements nécessaires pour cette production. Le développement durable ne peut se piloter sans une vision comptable complète (3).
On le voit dans la chronique Lumière, le schéma traditionnel de présentation du développement durable, avec les trois cercles qui se recoupent, et leur intersection commune qui constitue le champ du durable, présente l'inconvénient d'être statique. L'objectif doit être de faire évoluer ces cercles pour que leur intersection soit de plus en plus grande, et que le champ du durable s'élargisse. Le pari peut être fait que ce serait le cas si tous les coûts, environnementaux et sociaux, étaient effectivement comptabilisés dans les calculs économiques. Les divergences d'appréciation selon l'angle d'attaque résultent souvent d'une prise en compte partielle des coûts et des avantages réels. Le développement durable a besoin d'instruments économiques plus intégrateurs, qui rendraient fidèlement et complètement compte de la réalité dans toutes ses dimensions. Avec une vision globale.
1 - Londres, mai 2004
2 - Rapport d’étape au ministre de l’Education nationale 26 mars 2002 du Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire. On se reportera utilement sur ce point au dossier n° 177 du CERTU (centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, www.certu.fr) Les groupes scolaires : vers des réalisations durables adaptées aux usagers, 2006.
3 - On pourra se reporter utilement au guide Ouvrages publics et coût global publié en janvier 2006 par la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP), et téléchargeable sur le site www.archi.fr/MIQCP
Chronique mise en ligne le 26 avril 2007, revue le 22 août 2011
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