A quoi ça sert ?
L'innovation est au coeur du développement durable, au service des défis à relever et des besoins des populations. Faut-il encore ne pas se tromper de futur.
Le progrès technique n’avance que s’il rencontre une demande sociale. Il ne suffit pas d’avoir une bonne idée, encore faut-il que la société en comprenne l’utilité et l’adopte.
On a parfois le sentiment que l’on nous force la main. L’intérêt d’une innovation ne semble pas évident pour tout le monde, mais une campagne d’opinion, une pression continue auprès d’intermédiaires, toutes sortes de manœuvres de lobbyistes tentent d’accréditer l’idée qu’elle est une des clés du futur. Le discours actuel sur l’énergie nucléaire, par exemple, mériterait un examen de ce type, mais intéressons nous aujourd’hui à l’agriculture.
Le développement durable a besoin d’innovation, et de la culture du risque qui doit l’accompagner, comme il est dit maintes fois dans ce site. Mais l’esprit critique doit s’exercer sur la nature de ces innovations, surtout quand elles comportent des risques, de manière à piloter le progrès, le maîtriser, et non en devenir l’esclave.
L’alimentation de l’humanité est un enjeu majeur. La famine et la malnutrition sont encore trop présentes dans le monde, et nous aurons bientôt moitié plus de bouches à nourrir. Nous avons eu la révolution verte. Une aventure datée du XXe siècle, qui devait, grâce aux engrais et aux pesticides, permettre d’augmenter fortement la production agricole, notamment dans le tiers monde, comme on disait à l’époque.
A quoi ça a servi ? A concentrer la production agricole, mais pas à réduire les famines. Les sols sont pollués, dégradés, érodés ; les familles d’agriculteurs endettées, dépendantes d’intérêts puissants et lointains. La révolution verte a changé le Paysage, dans tous les sens du terme, mais n’a pas réglé le problème qui justifiait son existence. Et elle en a posé bien d’autres, politiques, écologiques et sociaux notamment.
Aujourd’hui, ce sont les OGM qui sont proposés pour nourrir le monde. De grandes firmes internationales ont investi fortement dans cette innovation, présentée comme un progrès pour l’humanité. Même schéma que pour la révolution verte. Un progrès exogène, que les agriculteurs doivent adopter pour augmenter leurs rendements, mais qui les rend plus dépendants de l’industrie, et présente bien des inconnues vis-à-vis de la santé humaine, de l’environnement et de l’équilibre des milieux. Au-delà des débats sur les effets collatéraux de cette technique, la question A quoi ça sert ? revient en force. L’augmentation des rendements est remise en cause, récemment par des chercheurs de l'Union of Concerned Scientist (UCS), affilié au Massachusetts Institute of Technology (MIT), mais aussi dès 2006 au sein même du ministère américain de l’agriculture.
Il semble bien que les OGM, dans la continuité de la révolution verte, soit une machine à transformer une production industrielle en production agricole, alors que la logique voudrait l’inverse. Nous avons vu l’importance de la production gratuite, offerte par la planète dans de nombreux domaines. Le PIB spontané des écosystèmes, de la photosynthèse, du soleil et des vents, des milieux humides et des océans, offre des bénéfices largement partagés. Il suscite l’ingéniosité et l’investissement personnel de millions d’acteurs, agriculteurs notamment, qui maîtrisent ainsi leur avenir. A l’inverse, les techniques inféodées au monde industriel concentrent les profits, et compliquent singulièrement l’’initiative individuelle.
La piste de progrès n’est certes pas de laisser les agriculteurs seuls face à la question des rendements, des dérèglements climatiques, des prédateurs de toutes sortes, et de l’alimentation de 9 milliards d’êtres humains. Ce serait plutôt de les associer très en amont aux recherches agronomiques, et à s’inspirer des innovations qui se manifestent chaque jour dans les exploitations. C’est un progrès endogène, fertilisé par des apports externes mais aisément assimilables, pour reprendre le vocabulaire consacré. Le savoir faire traditionnel, parfois oublié d’ailleurs, allié à la science moderne, à la connaissance fine des phénomènes biologiques, voilà l'avenir. Il reste à l’organiser, à rendre fécond le dialogue entre le producteur et le chercheur, entre l’analyse des pratiques du Passé et les savoirs les plus récents. Plusieurs programmes de recherche misent sur ce dialogue.
A quoi ça sert ? La question de la finalité, du service rendu, est un must du développement durable. Les défis à relever, changement climatique, dégradation de la biodiversité, inégalités croissantes dans le monde, vieillissement de la population, et bien d’autres, sont nombreux et exigent un formidable effort d’imagination et d’innovation à tous égards, techniques, sociétaux, politiques. De nombreux acteurs voudront détourner la réflexion à leur profit. Pourquoi pas s’ils répondent effectivement aux vrais problèmes, s’ils apportent de vraies solutions. Mais posons-nous toujours la question A quoi ça sert ?. Attention aux leurres, aux solutions miracle qui posent au moins autant de questions qu’elles n’en résolvent. L’énergie nécessaire pour relever ces défis ne doit pas être gaspillée sur de fausses pistes.
Chronique mise en ligne le 11 mai 2009, revue le 28 mai 2010.
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