Watt
Le mieux vivre était associé à plus de puissance, pour l’éclairage, les voitures, les usines. Les temps changent. Peut-on vivre mieux avec moins de puissance ? Watt et qualité de vie sont-ils indissociables ?
C’est une unité physique. Elle exprime la puissance d’une installation, et, dans la vie courante, c’est aux ampoules ou aux aspirateurs que l’on pense en premier, lampes ou moteurs fonctionnant à l’énergie électrique. Curieusement, la puissance électrique fait référence à James Watt, ingénieur écossais pionnier de la machine à vapeur.
Des ampoules dont la puissance ne cesse de baisser. Quelques watts suffisent aujourd’hui à éclairer une pièce, avec des techniques modernes de LED, dix fois moins qu’avec les lampes à incandescence. Le même service rendu avec 10 fois moins d’énergie, voilà le progrès. Et, rêvons un instant, ce n’est pas fini. La lumière diffusée par le ver luisant est ténue, comme celle des leds à leurs débuts. Elle provient d’une réaction chimique, et consomme beaucoup moins encore d’énergie primaire. Le « biomimétisme » devrait nous permettre de progresser encore.
Le facteur 4 est bien là. Il faut du temps pour que ces nouvelles techniques soient mises au point et se diffusent, et il y a inévitablement un « effet rebond », mais quand on part du facteur 10, on peut supporter quelques bémols. Deux fois plus de bien-être, en consommant deux fois moins de ressources, c’est à portée de main, pour l’éclairage et bien d’autres besoins. Il y a malgré tout un problème. La diffusion de ces techniques remet en cause des équilibres économiques. Les sociétés commerciales vivent de leurs ventes, et elles ne peuvent voir d’un bon œil ces solutions qui réduisent leur chiffre d’affaire. Ne comptons pas sur elles pour en faire spontanément la promotion.
Comment faire, pour progresser vers le facteur 4 sans mettre ces sociétés en péril ? En leur proposant de changer de modèle économique. Ce n’est jamais facile, mais c’est l’effort nécessaire pour entrer dans le monde d’aujourd’hui. Beaucoup d’entreprises ont affronté cette épreuve avec succès, et s’en retrouvent ragaillardies. Il faut vendre de la performance. Plus de service pour moins de ressources consommées. Dans un monde « fini », les ressources sont limitées, alors que les désirs sont infinis, comme le dit Daniel Cohen (1). C’est donc l’usage de la ressource qui devient le centre du jeu, et non sa production. Voilà un changement profond, qu’il faut bien négocier. La recette de l’entreprise se fera sur cette base, mais il lui faut s’adapter. Il faut apprendre à vendre moins de produit et plus de service, ce qui veut dire plus de technicité, de savoir-faire, de compétence, voire de talent. De la ressource humaine. « Il n’est de richesse que d’hommes », disait Jean Bodin. C’était au XVIe siècle.
Il faut donc se préparer à vendre moins d’énergie, pour des raisons de ressources comme de rejets, notamment l’effet de serre. C’est pareil pour l’eau. Nous consommons moins d’eau depuis une dizaine d’années. Après avoir augmenté considérablement notre consommation, nous sommes parvenus à un maximum et l’heure de la raison est arrivée. 2% d’eau en moins chaque année, et pourtant nous ne vivons pas plus mal, et nous sommes aussi propres qu’avant. Nous sommes plus efficaces, une affaire de comportement peut-être, mais surtout de technique, machines pus sobres, mousseurs, etc. La consommation d’eau des machines à laver est devenue un argument de vente, au même titre que l’énergie. Les moins gourmandes sont valorisées.
En matière d’énergie, le dispositif des certificats d’économies d’énergie pousse les marchands d’énergie à faire faire des économies à leurs clients. Un revirement qui ne se fait pas sans difficultés, avec des quotas à respecter, un marché à organiser, et dans les entreprises, des changements de priorités, de stratégies, d’organisation. On ne vend plus de watt ou de Wattheure, mais de l’absence de watt, une puissance installée plus modeste, tout en offrant une qualité de service accrue. La difficulté est dans le jeu des acteurs. La filière, depuis la collecte de l’énergie primaire jusqu’au service rendu, comporte une série d’entreprises, qui se partagent la valeur ajoutée. L’accent mis sur le service modifie les clés de ce partage, ce qui provoque des résistances. L’augmentation du prix de l’énergie, socialement supportable si l’on en consomme moins pour le même service, est une des réponses. Encore faut-il qu’il n’y ait pas de laissés pour compte, précaires pour les particuliers, et énergivores pour les entreprises. Leur accompagnement est une des conditions du succès.
Les techniques du « facteur 4 », deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources, sont pour la plupart opérationnelles, et elles progressent chaque jour. Elles ne se diffusent pas pour autant, et l’effet rebond guette toujours. Le véritable progrès ne peut se réduire à des innovations technologiques. C’est toute l’organisation de la société qui est concernée. L’imbrication des enjeux économiques, sociaux et environnementaux est profonde. Rappelez-vous de la fameuse expression sur « les soviets plus l’électricité ». Gouvernance et technologies sont intimement reliées. Le développement durable y ajoute la finitude du monde. James Watt et Paul Valéry, deux références à associer, pour « penser durable ».
1 - Dans son livre « Le monde est clos, et le désir infini », Albin Michel, 2015
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