Miroir
« Miroir, miroir en bois d'ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle ». Un miroir, ça sert à se voir, et à en tirer une satisfaction. Sans trop de complaisance, bien sûr, et il faut bien admettre que Blanche neige est plus belle, mais un outil d'observation de soi-même est nécessaire pour le développement durable. Le miroir ne donne malgré tout qu’un reflet, il peut être déformant, ou même teinté. Attention de ne pas confondre l’image et la réalité.
Le reflet est d’ailleurs utilisé pour attirer les oiseaux, c’est célèbre miroir aux alouettes, souvent transposé par les commerciaux de tous poils qui font miroiter tout le profit que l’on peut tirer de ce qu’ils vendent, et laissent dans l’ombre les questions embarrassantes. Le développement durable nous invite à ne pas se laisser piéger, à ne pas se laisser éblouir, à bien analyser les propositions qui nous sont faites, les choix qui nous sont proposés. L’exemple des bâtiments est à ce titre instructif. La plaisanterie classique sur le prix d’un bien illustre le risque de ne voir qu’un aspect des choses. Il y a trois critères qui font le prix d’une maison : l’emplacement, l’emplacement, et l’emplacement. C’est un peu caricatural, on devrait y ajouter certaines « prestations », comme disent les agents immobiliers, du type marbre dans l’entrée, cuisines intégrées, etc. Avec ça, les autres qualités, notamment le coût de fonctionnement, les consommations, la facilité d’entretien, sont bien oubliées. Il est vrai que l’emplacement est important. L’accessibilité, le quartier, calme ou animé, la présence de commerces à proximité, ou d’école, de station de transport, sont des paramètres incontournables, comme le prestige ou la mauvaise réputation. Mais s’il n’y a que ça, comment faire progresser la qualité intrinsèque des bâtiments, comment « vendre » les efforts des constructeurs pour économiser l’énergie, protéger les chambres des bruits de la rue, rendre le logement plus confortable, mieux éclairé, plus commode. Un reflet ne suffit pas à caractériser un bien, il faut le regarder de trous les côtés, en s’aidant d’un miroir si nécessaire. On peut aussi être aidé par des indications fournies par le vendeur, figurant une étiquette. Pour l’achat d’appareils électroménagers, l’étiquette vous donne des informations sur la consommation d’énergie, d’eau, sur le niveau de bruit. Ces informations ont contribué fortement à transformer l’offre, au profit d’appareils plus performants, au-delà du design. Pour les maisons, l’étiquetage s’enrichit progressivement, avec la consommation d’énergie présentée selon l’échelle classique de A à G. La même évolution est sensible pour les voitures. Bien sûr, le miroir aux alouettes de la publicité continue à faire planer sur des vagues irréelles, mais l’information devient plus précise, et orientera de plus en plus les choix des consommateurs, du moins est-ce le pari qui peut être raisonnablement tenté.
Un miroir peut être utilisé pour attirer des oiseaux, et des humains, et les leurrer, mais il y a aussi des utilisations très utiles des miroirs. Nous l'avons vu dans la chronique Abondance, un des problèmes à résoudre pour bénéficier de l'énergie qui nous parvient avec générosité du soleil est qu'elle est diffuse. L'énergie diffuse convient pour certains usages, comme pour chauffer une maison ou produire son eau chaude, mais ne répond pas à d'autres besoins, où une bonne concentration est nécessaire. Diluée, elle ne se transporte pas bien non plus, les investissements nécessaires étant prohibitifs. Une des clés est donc de savoir concentrer cette énergie diffuse. Les miroirs ont une réponse à apporter. On l'a vu dans les années 1970 -1980, avec la centrale Thémis, qui a constitué une première en France, et il y en a qui fonctionnent depuis 25 ans aux Etats-Unis. Cette technique, que l'on appelle solaire thermodynamique, retrouve une seconde jeunesse, en Espagne où une centrale de 11 MW vient d'être inaugurée, et aux États-Unis, où une unité de 64 MW devrait être prochainement inaugurée, dans le Nevada précisément.
Cette histoire de miroirs n'est pas anecdotique. Pour certains, ce serait la solution à tous nos problèmes, si le prix du baril de pétrole reste dans la zone des 60 dollars. Les déserts pourraient alors trouver une nouvelle productivité, puisque les spécialistes ont calculé qu’avec 0,5 % des leur surface, ils pourraient produire toute l’électricité consommée dans le monde. Et cela sans déchets ni gaz à effet de serre. Ils ajoutent que cette énergie pourrait aussi servir à dessaler l’eau de mer pour l’irrigation, et qu’à l’ombre des miroirs, une agriculture pourrait se développer. Un triple dividende, donc, que nous promettent ces miroirs. La seule question est que l’énergie ainsi produite serait loin des consommateurs. Des réseaux de transport sont donc nécessaires, avec des pertes inévitables en ligne. La production d’hydrogène serait également envisageable, qui permettrait de stocker et de déplacer cette énergie, mais avec, là encore, des pertes à prévoir.
Nous voilà donc revenus à la langue d’Esope. Les miroirs sont la plus mauvaise ou la meilleure des choses selon leur usage. Trompeurs ici, ils apportent des solutions originales et performantes ailleurs. Tout dépend du contexte, comme souvent dans les approches de développement durable.
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