Carburant
L'intervention fiscale pour une baisse du prix du carburant à la pompe est souvent considérée comme insuffisante. Mais est-ce la bonne réponse à la hausse du prix du pétrole ? N'y a-t-il pas mieux à faire avec l'argent public dédié à cette mesure ?
Christine Lagarde avait conseillé le vélo. Puisque l'essence est chère, vive la petite reine. Une prise de position qui avait provoqué l'hilarité ou la dérision, selon les sensibilités. Evidemment, le vélo n'offre de nos jours qu'une solution très partielle à la question du carburant cher. Pour la plupart d’entre nous, le lieu de travail est loin du domicile, itou pour le super marché, les enfants ont des activités éclatées un peu partout, et le vélo ne résout rien la plupart du temps.
C'est que notre société est organisée autour de l'automobile. Bien sûr les villes, que l'on a adaptées à l'automobile, selon la formule célèbre, mais c'est paradoxalement là où le vélo peut la supplanter dans les meilleures conditions. Au-delà, c'est tout le territoire, et notamment les campagnes, les périphéries des grandes villes, qui se sont transformées ou développées sur le principe d'une mobilité facile et pas chère, grâce à la voiture. C'était le progrès, et en plus, ça alimentait une économie où le secteur de l'automobile, avec ses grosses sociétés "locomotives" de l'activité industrielle, les sous traitants, et en amont la sidérurgie, et en aval l'entretien et la réparation, sans parler de l'assurance et du crédit, tenait une place privilégiée. Un choix qui dépendait d'un paramètre clé : le prix du carburant. Nous nous sommes ainsi placés dans une situation précaire, du fait d'un facteur limitant sur lequel nous n'avions peu de prise.
L'accès à la ressource, au pétrole , a pendant longtemps été une préoccupation majeure, pouvant aller jusqu'à la participation à des conflits armés, sans parler de l'ingérence dans la vie politique de pays producteurs. Cette préoccupation demeure, avec les questions de géopolitique qui y sont attachées, et les tensions liées à l'apparition parmi les demandeurs des pays "émergents", gros consommateurs. Il s'y ajoute aujourd'hui une autre raison d'inquiétude : le réchauffement climatique. Même si des ressources nouvelles apparaissaient en abondance à des prix abordables, il faudrait restreindre notre consommation.
Le modèle de développement retenu lors des 30 glorieuses doit être profondément revu. C'est évidemment douloureux, car notre économie, nos villes et nos campagnes, nos loisirs, sont structurés pour l'automobile, et il va falloir s'adapter à la nouvelle donne.
Le côté négatif, nécessité de l'effort, coût de l'adaptation, est durement ressenti, mais ne faut-il pas aussi voir le volet positif ?
Tout d'abord, il y avait des laissés pour compte, dans l'ancienne économie. Tous ceux qui ne pouvaient pas disposer d'une voiture étaient exclus de nombreux services. L'exemple des personnes âgées dans les campagnes est un classique du genre, privées progressivement des commerces de proximité puis des commerces ambulants, durement concurrencés par les grandes surfaces implantées en périphérie des villes. On peut aussi évoquer les jeunes de banlieues mal desservies par les transports en commun, et dont les revenus ne permettent pas l'accès à l'automobile. Il y a les habitants des villes non motorisés. Plus de la moitié à Paris, et une forte proportion dans les grandes villes. Sans oublier les enfants, dont les déplacements à pied sont fréquents, et font l'objet de bien des angoisses pour les parents. L'espace public, de rencontres et de loisirs, est devenu capté en grande partie pour la mobilité : les Centres villes sont devenus des carrefours, les avenues des voies rapides, etc.
L'alerte du prix du carburant est bien réelle, mais tentons d'en tirer le meilleur, pour corriger des défauts manifestes dans notre organisation et nos modes de vie, et pour s'adapter aux exigences de la nouvelle économie. Nous changeons d'ère, de celle de l'énergie pas chère à celle de l'énergie chère.
Le réflexe, bien légitime, de faire durer l'âge d'or est facile à comprendre, il n'est pas pour autant réaliste, et le Déni qu'il manifeste peut vite devenir aveuglement, et coûter cher par la suite. Les 6 centimes par litre de carburant, généreusement offerts pour 3 mois, par l'Etat et les distributeurs, entrent dans cette logique. Le signal donné est contraire au Sens de l’histoire, et pourrait faire naître, ou renforcer, des Illusions. D'autant qu'il est général, pour tout le monde, et pas pour aider les plus défavorisés à surmonter un moment difficile, ou à s'adapter au nouveau contexte. Il est en outre limité au secteur des transports, et ne sera pas étendu au fuel domestique, frappé par la même hausse du pétrole, avec des conséquences sociales bien identifiées. On ne peut donc plaider le caractère social, de type "impôt négatif" pour justifier une telle disposition. Tout cela est-il bien "durable" ?
L'adaptation à l'énergie chère est une exigence incontournable. Sur la durée, cela doit se traduire dans nos territoires, nos modes de déplacement et leur volume, la qualité de nos constructions et nos comportements quotidiens, sur nos consommations en général, qui seront de plus en plus étiquetées sur leur contenu en énergie et leurs effets sur le réchauffement climatique. Il est vrai qu'une transition doit être aménagée, pour éviter des drames sociaux et des pertes trop brutales de pouvoir d'achat. Il lui faut afficher une direction claire, tournée vers l'avenir, et abandonner toute disposition tournée vers le passé, que l'on serait vite tenté de faire revivre artificiellement, avec des réveils douloureux. Puisque nous ne pouvons nous passer de l'automobile dans de nombreuses situations, inutile d'imposer le vélo (que l'on peut toutefois encourager dans les situations qui le permettent). L'essence pas chère a entraîné un usage immodéré de la voiture, pour ne pas dire déraisonnable. Peut-on revenir à la raison, à la maîtrise de ce qui n'est qu'un instrument au service de la vie sociale et économique ? Il y a de nombreuses pistes pour cela, bien plus rentables qu'une ristourne de 6 centimes par litre pendant 3 mois, soit une baisse de 4% du prix payé à la station service.
Le vélo, pourquoi pas, pour les petites distances. Une part significative de nos déplacements motorisés se fait sur les distances inférieures à 500 mètres. Et un peu de vélo, ça fait du bien à la santé et à la sécurité sociale.
On peut éviter d'utiliser sa voiture pour faire ses courses, avec Internet et les livraisons à domicile. Ça ne fonctionne par pour tout, mais dans les cas où on peut y avoir recours, il ne faut pas s'en priver : la quantité d''essence nécessaire pour qu'un particulier aille remplir son coffre de voiture au supermarché est bien supérieure à celle utilisée par un livreur en tournée, pour le même service.
Il y a la conduite "douce", tout en souplesse, qui produit des économies bien plus intéressantes que 4% de consommation. Avec en prime moins de bruit pour les riverains des rues empruntées et moins d'accidents. Ajoutons le bon entretien des voitures, filtres propres et pneus bien gonflés, par exemple, qui font gagner durablement des litres de carburant. Le meilleur carburant est, là encore, celui que nous ne consommons pas.
Il y a le covoiturage, l'autopartage, et les nouvelles manières d'utiliser l'automobile, de taille et de modèle adapté au besoin, mieux remplie, utilisée à bon escient. Il faut changer ses habitudes, apprendre à anticiper, apprendre à partager, tout cela pour s'adapter au monde nouveau qui se construit sous nos yeux.
On peut s'interroger sur le bien fondé d'une dépense d'argent public pour réduire le prix de l'essence. C’est un manque à gagner sur des recettes destinées notamment à financer le coût social de la mobilité automobile, routes modernisées et bien entretenues, signalisation, sécurité sous toutes ses formes, etc. Une dépense sans vertu pédagogique ni caractère social, et porteuse d'illusions. Ne vaut-il pas mieux utiliser les centaines de millions dédiés aux 6 centimes pour accélérer la transition vers un nouvel usage de l'automobile ?
Le signal prix n'est pas sans intérêt, et il est contre productif de le brouiller. Voilà un levier formidable pour faire changer les comportements, à condition de l'accompagner pour en réduire les désagréments. L'usage actuel de l'automobile est hérité d'une époque révolue, il convient de passer à une vision moderne de cet instrument de liberté, et qui doit de le rester.
Chronique mise en ligne le 3 septembre 2012
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