100%
En marge de l’examen par l’Assemblée nationale de la loi sur la transition énergétique, une étude allemande montre qu’il est possible de produire 100% de l’électricité en renouvelables. Beaucoup d’initiatives sont prises dans ce domaine.
En 2002, la Navarre a décidé de basculer vers les énergies renouvelables, avec l’objectif de 100% d’électricité renouvelable en 2010. Nous n’y sommes pas, mais un grand pas a été fait dans cette direction, avec plus de 60% avec une large part aux éoliennes. Mais la Navarre est modeste par sa taille, et la question de l’extension de cette approche à de grands pays est-elle envisageable ?
« Même si quelques efforts sont encore à faire, nous pourrons garantir dans le futur avec les seules énergies renouvelables un niveau de sécurité d'approvisionnement aussi élevé qu'aujourd'hui. » Telle est la conclusion d’une recherche allemande dénommée Kombikraftwerk, pilotée par l'institut Fraunhofer IWES(1) . La question va en effet au-delà de la production globale. Il s’agit de la capacité à répondre aux demandes 24h sur 24, 365 jours par an. Une simulation en grandeur réelle, avec parcs éoliens, centrales photovoltaïques, centrales au biogaz, et moyens de stockage. Biomasse et stockage permettent de faire face aux besoins quand les énergies intermittentes sont au point mort. Cette hypothèse demande bien sûr des équipements complémentaires (géothermie, unités de stockage, réseaux), mais tout à fait envisageables dans les années à venir. Remarquons qu’il ne s’agit que de l’électricité, et qu’il y a bien d’autres formes d’énergie à fournir, notamment pour le chauffage et les transports. C’est déjà un bon morceau. L’étude ouvre des perspectives et oriente les travaux à poursuivre pour atteindre l’objectif de 100% renouvelables.
La France fait aussi preuve d’innovation. Une première centrale française de géothermie marine vient d’être lancée à Marseille(2). L’aménageur Euroméditerranée, l’énergéticien Cofely Services (GDF Suez), et le promoteur Constructa et Foncière des Régions se sont alliés pour créer une centrale de géothermie marine, produisant le chaud et le froid selon les saisons. Ce sont les calories de la mer, à 5 mètres de profondeur, qui sont captées pour alimenter un réseau de chaleur, desservant 500 000 m2 de bâtiments. L’installation, dénommée Thassalia, sera en service début 2016. Plus que des difficultés techniques, c’est la commercialisation qui a été l’obstacle le plus dur à franchir, comme pour les réseaux de chaleur en général : il faut convaincre des acheteurs potentiels de s’engager dans la durée. Cette première sera, espérons-le, une excellente vitrine d’une technologie utile pour toutes les villes de littoral, ce qui, à l’échelle mondiale, représente une part importante des implantations humaines. De belles économies en perspectives.
Autre projet en cours de réalisation, en Martinique. NEMO, new energy for Martinique and overseas, exploite la différence de température entre l’eau de surface et l’eau de profondeur (1000 mètres au moins). C est ce que l’on appelle l’énergie thermique des mers, ETM. Un générateur de 16 MW, fonctionnant « en base » 24h/24. Une première de cette puissance, pour une technologie pleine de promesses.
Les énergies marines, dont Thassalia et NEMO sont de bons exemples, n’en sont encore qu’à leurs débuts, mais nul doute qu’elles apporteront un appoint significatif aux autres énergies renouvelables, toujours dans l’objectif 100%, auquel il faudra bien parvenir à terme. Un objectif que l’on atteint aussi en maitrisant les consommations. Là encore, les initiatives vont bon train. En voici deux, à titre d’illustration.
Dans l’industrie, tout d’abord. L’implantation d’un variateur de vitesse sur un moteur peut faire économiser 80% de sa consommation. Un investissement remboursé en moins de 2 ans. La moitié des moteurs pourraient être équipés. Rien que pour les variateurs de vitesse, ce serait 2 703 millions d'euros qui seraient réalisées au cours des cinq prochaines années en France, selon la division Financial Services de Siemens. Qu’attendons-nous pour être heureux ?
L’autre exemple nous vient de New-York, où la municipalité souhaiterait peindre tous les toits en blanc. L’idée a été conçue en Californie, dans les laboratoires de l’Université de Berkeley. Il s’agit de réfléchir les rayons du soleil, infrarouges tout particulièrement, pour ne pas absorber la chaleur et économiser sur la climatisation. Des teintes claires sur les toits feraient économiser 750 millions $ chaque année pour l’ensemble des Etats-Unis. La lutte contre le réchauffement climatique peut rapporter de l’argent !
Le mouvement se propage en Europe, où un « European cool roof council » a été créé à Bruxelles en 2012, pour inciter des villes à s’engager.
Deux initiatives parmi d’autres qui illustrent la diversité des actions envisageables, à faible coût ou à coût négatif, qui rapporte de l’argent, pour réduire les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre.
En jouant sur les deux tableaux, moins consommer et faire appel aux énergies renouvelables, la perspective du 100% n’est pas hors de portée. Différents scénarios, en France, l’envisagent avec de bons arguments. La transition énergétique est en marche.
1 - Source : Lettre des ENR du 30/09/14
2 - Source : Le Moniteur .fr du 1/10/14
Un commentaire de Cédric Philibert (http://cedricphilibert.net)
Sur l’excellent blog « du développement durable », je vois cette semaine mention d’une étude du Fraunhofer IWES qui montre qu’une électricité 100% renouvelables est possible. Et l’ami Dominique Bidou d’applaudir: « Cette hypothèse demande bien sûr des équipements complémentaires (géothermie, unités de stockage, réseaux), mais tout à fait envisageables dans les années à venir. » Il ajoute aussitôt, avec justesse: « Remarquons qu’il ne s’agit que de l’électricité, et qu’il y a bien d’autres formes d’énergie à fournir, notamment pour le chauffage et les transports. »
Justement, poussons le raisonnement un peu plus loin. Arriver à 100% de renouvelables dans l’électricité, c’est… facile pour ceux qui ont beaucoup d’hydraulique. Eh oui, on l’oublie trop souvent, mais l’Albanie, la République démocratique du Congo, le Mozambique, le Népal, le Paraguay, le Tadjikistan et la Zambie ont déjà une électricité 100% renouvelables, l’Islande (avec l’aide de la géothermie) et la Norvège n’en sont pas loin, non plus que le Brésil, l’Ethiopie, la Géorgie, le Kirghizstan, la Namibie…
Mais quand on n’a pas ou peu d’hydroélectricité, 100% renouvelables c’est une autre paire de manches. En combinant, selon les cas, beaucoup de solaire, ou pas mal d’éolien, un peu de bioélectricité, de géothermie, voire d’énergies marines, on peut s’en approcher. Avec la gestion de la demande, les interconnections, un minimum d’hydraulique, du stockage dans des stations de pompage et demain des batteries, on peut gérer la variabilité sur un rythme quotidien. Reste la semaine ou la quinzaine sans vent ni soleil – et non, je ne crois pas que nous ayons rapidement des possibilités économiques d’affronter ce type de situation avec des énergies renouvelables variables et du stockage. Techniquement, on peut toujours tout faire, bien sûr. Transformer des excédents temporaires d’électricité en hydrogène, l’hydrogène en méthane, et le méthane à nouveau en électricité quand on en a besoin, le fameux « power to gas ». Certes, mais à quel coût? Comment rentabilisera-t-on des électrolyseurs fonctionnant 5% ou 10% du temps, des stockages utilisés une fois l’an? Dans le scénario « hi-Ren » de la publication AIE Energy Technology Perspectives, on a 80% de l’électricité mondiale d’origine renouvelable en 2050 – et si cela suppose des investissements massifs ceux-ci rapportent non moins massivement, donc ce scénario n’est pas plus cher que celui du laissez-faire. C’est le passage de 80 à 100% qui pourrait être vraiment coûteux. Et au fond, inutile. Pour réduire davantage les émissions de CO2, il y a d’autres options moins chères.
C’est bien ce que me suggère la remarque de Dominique: « Il y a bien d’autres formes d’énergie à fournir ». L’électricité, c’est 20% de la demande finale d’énergie, 40% de l’énergie primaire et des émissions de CO2. On commence par là, parce qu’il est plus facile de décarboniser… presque entièrement, l’électricité, que le reste. Mais faut-il rechercher le 100% renouvelables dans l’électricité à n’importe quel prix? Evidemment non – il y a beaucoup d’options moins chères pour réduire les émissions associés à l’utilisation directe des fossiles dans les transports, le bâtiment et l’industrie. Et notamment, au-delà des économies d’énergie, bien évidemment à utiliser en premier lieu, en sus de la chaleur renouvelable (chaleur solaire, bioénergie), il y a… la substitution d’une électricité peu carbonée aux combustibles fossiles dans ces secteurs. Les véhicules électriques (ou hybrides pluggables) dans les transports, les pompes à chaleur dans les bâtiments… et une foultitude de technologies dans l’industrie, dont le recensement reste à faire.
100% renouvelables dans l’électricité, si les combustibles fossiles restent massivement utilisés dans les secteurs finals de consommation, à quoi bon?
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