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Culture, valeurs

Tolérance


A première vue, ce mot est agréable. Mettons tout de suite de côté les maisons de tolérance, et on arrive dans un univers de compréhension mutuelle. Ca doit être bien pour la gouvernance. A y regarder de plus près, il convient d’être plus réservé.

Faire preuve de tolérance, c’est accepter que l’autre soit Différent, qu’il n’ait pas les mêmes mœurs, les mêmes dieux. On en fait souvent une Vertu.

Mais n’est-ce pas un peu court ? C’est bien la moindre des choses de ne pas voir le monde qu’à travers son propre prisme, son propre Système de Valeur. Si tolérer signifie supporter, accepter parce qu’il le faut, parce que c’est politiquement correct, on n’est pas vraiment vertueux, du moins pour le développement durable. C’est comme le mot concilier, bien souvent entendu à propos de l’Environnement et de l’économie. Concilier n’est pas un mot Positif, c’est un mot minimum. Il suppose qu’au fond, les Intérêts des parties sont divergents, et que l’on va trouver un arrangement. C’est bien, c’est un minimum, mais ce n’est pas avec un arrangement que l’on va enthousiasmer les foules, et les mobiliser pour explorer ensemble d’autres futurs, des futurs où chacun vivra mieux sans pour autant accentuer sa pression sur les Ressources et la planète. Il faut bien sûr aller au-delà, et ne pas se contenter de cette attitude défensive de conciliation ou de tolérance, pour entrer dans une Dynamique où chaque personnalité a son intérêt, où chaque particularité enrichit la collectivité. Un peu de générosité, et de Curiosité, que diable ! La cohabitation doit être féconde ! L’efficacité économique doit entraîner des Progrès environnementaux, qui, à leur Tour, renforceront l’économie. On est alors sur la voie du développement durable, qui se joue à trois dimensions, vous le savez, à conjuguer et surtout pas à prendre séparément, les unes après Les autres, en veillant tout juste à ce que la première ne fasse pas de tort aux autres, et ainsi de suite. Il ne suffit pas que intolérance ne rime pas avec développement durable, pour que tolérance le fasse. Encore un effort.

La tolérance retrouve des couleurs quand on la décline dans d’autres Univers. La tolérance, c’est la marge d’erreur. Bienheureuse Marge qui desserre le carcan, qui ouvre finalement le Droit de se tromper. L’extrême précision n’est nécessaire que pour certains objets, et un peu de souplesse ne fait pas de mal. La tolérance, c’est aussi accepter la faiblesse, la mauvaise évaluation, et on sait bien que le Progrès, l’innovation, suppose bien des échecs. Le Risque est inscrit dans le développement durable, et c’est pourquoi on a inventé le principe de Précaution, pour définir le risque intolérable, et adopter la Ligne de conduite à tenir dans ces circonstances. 

La Marge d’erreur devient parfois marge de manœuvre, ou d’appréciation d’un évènement, ou d’un comportement. Quel Plaisir de disposer ainsi d’une véritable liberté, qui permet d’adapter une décision aux circonstances, de ne pas être tenu à une règle trop stricte. La tolérance, c’est une confiance accordée aux acteurs de terrain, qui, au coup par coup, décident de la manière d’appliquer une règle volontairement souple. LIntelligence et la créativité sont en éveil quand elles bénéficient de cette tolérance, et la règle elle-même s’enrichit de ces pratiques libres.  

Un écueil toutefois, si la tolérance se mue en pouvoir arbitraire. L’application Libre de la règle ne doit pas se traduire par la disparition de la règle, ou par une mise en œuvre fantaisiste, sans repères. Prenons un cas trivial : les nombreuses tolérances ouvertes par le code de la Route. Une tolérance n’est pas un droit, et laisse l’usager dans le doute. Parfois, l’évolution est limpide et transparente, et chacun y voit une évolution des exigences communément admises. C’est le cas pour les excès de Vitesse. On tolérait quelques Kilomètres heure de plus que le maximum autorisé, mais la tolérance a fortement baissé, et on sait aujourd'hui qu’il ne faut pas aller beaucoup plus vite pour se faire sanctionner. C’est beaucoup plus aléatoire pour le stationnement. La tolérance varie d’une ville à l’autre, et d’un Quartier à l’autre. Et ne cherchez pas de lignes de conduite logiques, du type plus de tolérance pour un comportement n’entraînant ni danger ni gêne, c’est le royaume de l’arbitraire, le fait du prince.

Il était judicieux de se méfier de la tolérance. C’est souvent une fausse amie, et ses Qualités sont bien surfaites. Tout juste une position de repli, même si elle est déguisée en poste avancé. Nécessaire mais loin d’être suffisante, pour créer les conditions du développement durable. Son meilleur aspect est sans doute, en définitive, d’ouvrir le droit à l’erreur, et peut-être aussi un peu à la Paresse.

 

 

Chronique mise en ligne le 27 septembre 2006, revue le 20 novembre 2010



Je prolonge cette chronique par un article de Fernando CUEVAS, Professeur, ESC Pau,
tiré de "Vies & Envies" n°5 - janvier 2013 –Page 5

JE NE VEUX PAS ÊTRE TOLÉRÉ !

La tolérance, du latin tolerare (supporter), est l’attitude d’accepter l’existence de l’autre qui est différent (race, religion, valeurs, profession, sexe, âge, etc.). La tolérance est la reconnaissance des droits universels et par conséquent des libertés fondamentales de la personne humaine.
Malheureusement il y a une acception sociale du mot tolérance qui vient de l’immunologie : « ensemble des mécanismes de défense d’un organisme vivant contre les agents étrangers (antigènes), notamment infectieux » (Le Petit Larousse). Le sujet qui vient de l’extérieur est difficilement tolérable pour le corps, il est assimilé à un facteur d’agression ou au moins de dérangement. Le Dictionnaire Larousse décrit la tolérance d’une façon négative : « c’est supporter avec plus ou moins de patience quelque chose de désagréable, endurer ». En tout cas tolérer, c’est accepter à contrecœur. Si l’autre nous intéressait, il s’agirait alors de la sympathie ou de l’altérité.
La tolérance est perçue comme une valeur sociale, mais nous sommes de l’avis qu’à partir du moment où elle ne cherche pas l’interaction, elle reste très limitée. Michel Liégeois présente une analyse du déséquilibre inhérent à toute relation de tolérance : « La tolérance est le respect d’Autrui : or tout respect suppose une égalité de droit alors que la tolérance sous-entend la supériorité, et donc l’inégalité, de celui qui veut bien consentir à supporter ; ainsi tolérer des immigrés,c’est être en position d’autorité et de pouvoir, s’arroger la possibilité de ne pas tolérer»(1). Pour Albert Jacquard « la tolérance est une attitude très ambiguë … Tolérer c’est se croire en position de domination, de jugement ; c’est s’estimer bien bon d’accepter l’autre malgré ses erreurs »(2). La tolérance est perçue comme une pratique caractérisée au mieux par l’indulgence et au pire par la condescendance ou l’indifférence. Il s’agit davantage d’une cohabitation que d’une fusion. C’est pour toutes ces raisons que nous n’apprécions pas la pratique de la tolérance. Elle ne permet pas d’aller loin dans la relation humaine. Elle n’est pas une communication. Dans la tolérance la reconnaissance mutuelle et le partage n’existent pas.
Même si une personne n’est pas discriminée, souvent le groupe d’accueil « la tolère », et à condition qu’elle ne parle pas, qu’elle reste invisible, qu’elle accepte des basses tâches, etc. voire qu’elle accepte d’être un « bouc émissaire ».
Souvent les personnes ne se rendent pas compte de la grande contribution des « tolérés » : en France les arabes et les africains et aux Etats Unis les mexicains contribuent énormément au fonctionnement de la société économique et sociale. Ils assument souvent des tâches que les « blancs » ne veulent pas faire et contribuent avec leurs impôts et charges sociales davantage ce qu’ils en reçoivent en retour.
« Tout humain que j’exclus des liens que je tisse est une source dont je me prive » (Albert Jacquard (2) ). La perception des différences culturelles s’est développée par les échanges avec d’autres cultures. Un groupe qui s’enferme s’appauvrit et tout devient répétitif.
La tolérance est le respect des droits de l’Homme mais elle reste très limitée du point de vue de la relation humaine. Au lieu de parler de tolérance nous devrions parler d’altérité. Celle-ci prône la reconnaissance de l’autre comme un sujet de désir et non comme un objet de satisfaction de nos désirs. Qui aimerait être toléré ? Qui aimerait vivre l’altérité ?

I - « La tolérance ». Philoplus, site internet, 2012.
2 - Petite philosophie à l’usage des non philosophes. Calmann-Lévy 1997

 

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