Sauvage
Le bon sauvage est souvent associé à l'image de la nature, alors que nous savons bien que la nature est parfois cruelle. Le sauvage est malgré tout notre origine, et reste une source inépuisable de ressources.
Un mot qui fait peur, mais un mot qui fait rêver.
Le sauvage est prêt à vous manger tout cru, et même si le bon sauvage le fera avec respect, en espérant incorporer vos nombreuses qualités, cette perspective ne vous réjouit guère. Mais sa liberté et sa manière de vivre, en étroite communion avec les éléments, témoigne d’un art de vivre, d’un savoir, d’un sens de l’observation qui nous impressionne à juste titre.
La nature sauvage produit les mêmes sensations, d’angoisse et de séduction. riche et généreuse, mais aussi dévastatrice, mystérieuse et secrète, mais aussi pleine de pièges et de dangers. On ne s’aventure pas dans la nature sauvage sans précaution. La tentation est alors grande de vouloir tout contrôler, de domestiquer la nature. C’est le passage des la cueillette à l’agriculture, c’est la construction de moulins sur les rivières. L’histoire de l’humanité se confond avec cette tentative permanente de maîtrise de la vie sauvage. Haro sur le sauvage, vive la civilisation.
Le goût du sauvage nous revient, maintenant que l’on a le sentiment d’avoir été jusqu’au bout de la conquête de la planète. Nous avons pris possession de la création, une nostalgie de la nature nous revient, comme au temps des romantiques. Pour beaucoup, cet amour était sympathique, mais pas très sérieux. La poésie ne nourrit pas les milliards d’êtres humains qui peuplent aujourd’hui notre Terre, laquelle a ses Limites, même si on espère encore pousser les murs. Nous savons que ce ne sera pas toujours possible. C’est ce qui a justifié pendant des années des efforts d’artificialisation, comme la révolution verte en agriculture, où les grands barrages, comme celui des trois gorges en Chine par exemple. Les conséquences en sont alarmantes.
L’introduction de méthodes modernes, totalement étrangères aux pratiques traditionnelles, à tous points de vue, n’a pas nourri la planète. Elle a provoqué une évolution de l’agriculture vers plus de dépendance par rapport à ses fournisseurs, et par suite un besoin incontournable de changer de production, des cultures vivrières vers des cultures d’exportation.
La recherche de ressources nouvelles est rendue nécessaire par la dégradation du patrimoine vivant utilisé pour l’agriculture. La sélection des espèces les plus productives a entraîné l’abandon de nombreuses variétés exploitées depuis la nuit des Temps, adaptées à des conditions climatiques et agronomiques données. Aujourd’hui, il faut rechercher des espèces originelles, pour régénérer le patrimoine génétique de nos Cultures.
De même, on s’aperçoit que le sauvage a du bon dans les aménagements. Fini les coupes réglées, les alignements au cordeau, les endiguements et canalisations forcées. Les fleuves sauvages ne sont pas si gênant que ça, ils apportent des nutriments aux vallées qu’elles baignent comme à leurs estuaires. A vouloir tout contrôler, tout domestiquer, on obtient le résultat attendu, celui de devoir tout faire soi-même, au lieu d’engranger les fruits du Travail des autres, de la nature en l’occurrence. Les services qu’elle nous rend, moyennant un peu de respect, commencent à être perçus. Le rapport de Bernard Chevassus-au-Louis pour le Centre d’analyse stratégique, intitulé Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes (1) reprend à cet égard la classification proposée par le Millennium Ecosystem Assessment (MEA). Elle distingue quatre ensembles : les « services d’auto-entretien », non directement utilisés par l’homme mais qui conditionnent le bon fonctionnement des écosystèmes (recyclage des nutriments, production primaire), les « services d’approvisionnement » (ou de prélèvement), qui conduisent à des biens appropriables (aliments, matériaux et fibres, eau douce, bioénergies), les « services de régulation » c’est-à-dire la capacité à moduler dans un sens favorable à l’homme des phénomènes comme le climat, l’occurrence et l’ampleur des maladies ou différents aspects du cycle de l’eau (crues, étiages, qualité physico-chimique) et, enfin, des « services culturels », à savoir l’utilisation des écosystèmes à des fins récréatives, esthétiques et spirituelles. Le sauvage a encore de beaux Jours devant lui, pour peu que les Hommes prennent conscience de ce qu’il leur apporte.
1 - Publié à la Documentation française, avril 2009
Chronique mise en ligne le 15 juin 2009
- Vues : 3959
Ajouter un Commentaire