Ressenti
Les études sont nombreuses et unanimes sur la convergence des intérêts, économiques, sociaux et environnementaux. Et pourtant, ce n’est pas le sentiment dominant, le ressenti le plus partagé. Le ressenti serait donc un frein à la progression du développement durable ?
Le mot est à la mode en matière météorologique. La température ressentie est souvent bien différente de celle mesurée par le thermomètre. Un éclairage introduit il y a quelques années, et qui est totalement adapté au sujet : chacun ressent, avec son corps, les éléments climatiques, avec la température mais aussi le vent et l’humidité. Il faudrait y ajouter l’historique, pour intégrer le degré d’accoutumance du corps, les changements brutaux accentuant le ressenti.
Ressenti et domaine personnel, intime, la relation est directe. Il n’en est pas de même pour les phénomènes collectifs. Chacun voit midi à sa porte, et le ressenti est souvent trompeur. Comment juger d’une affaire qui intéresse tout le monde à travers son prisme personnel, sans biaiser le jugement ? Et pourtant, dans les affaires publiques, c’est souvent le ressenti qui emporte la décision, ou plutôt la somme des ressentis individuels. Les scrutins et les sondages sont le résultat d’additions de sentiments forgés chacun chez soi, avec des éléments recueillis par chacun dans son univers. Echanges avec les proches, les collègues au travail, télévision, radio, journaux, réactions à des évènements qui vous touchent, ambiance générale, dynamique ou morose, état de santé, forme physique, moral des troupes, autant de facteurs, et j’en oublie surement beaucoup, qui contribuent à la formation de l’opinion, autant qu’une analyse objective des données accessibles. Les politiques sont conduits à coller à ce ressenti, et à l’intégrer dans leurs discours, ce qui le renforce et finit par lui donner force de loi, y compris au sens littéral du mot. En termes de communication, il est bien connu que le vrai ne vaut rien, c’est le vraisemblable qui s’impose.
Il en est ainsi pour le développement durable et ses différentes approches, telles que la lutte contre le dérèglement climatique ou l’accueil des immigrés. Les organismes, tels que l’OCDE, la Banque Mondiale ou France Stratégie, pour lesquels la croissance économique est une préoccupation majeure, le disent depuis quelques années : la prise en compte de l’environnement est un facteur de croissance, les transitions écologiques ou énergétiques en sont de bons leviers, les inégalités sociales sont un frein et les discriminations coûtent très cher à nos économies, l’immigration est une ressource, etc. Pour les « experts », les trois composantes du développement durable convergent « naturellement » ou sont appelés à le faire pour sortir « par le haut » des crises que nous connaissons. Ce sont nos rigidités, une certaine frilosité, des approches anciennes et partielles, qui les opposent, des restes du passé qui nous coûtent très cher.
Le ressenti est tout autre. Le développement durable est une épreuve, un sacrifice (pour certains une expiation), une charge supplémentaire dont nous n’aurions pas besoin en ces temps difficiles. Une part notable de l’opinion consent à cet effort, mais ça reste justement un effort, une bonne action pour la planète ou les générations futures. L’idée que ce soit en plus une bonne opération pour aujourd’hui leur est étrangère, et tous les discours sur la création d’emplois liés à la transition glissent sur les esprits sans y pénétrer. Le ressenti est qu’il y a opposition entre environnement et économie. Il est d’autant plus solide qu’il s’appuie sur le vocabulaire officiel, qui dit qu’il faut les « réconcilier », terme qui dit bien qu’a priori ils sont en conflit. L’approche morale contribue aussi à ce ressenti, comment peut-on être gagnant et faire le bien ? Dans l’autre monde peut-être, mais dans celui-ci, la recherche du profit est proche d’une forme d’exploitation, incompatible avec le développement durable.
Ce décalage entre les « experts » et l’opinion est du bon pain pour tous ceux qui veulent fait perdurer l’ordre ancien. Crainte du changement et peur de l’avenir, ou défense d’intérêts construits dans l’ancienne économie, les bonnes raisons pour « faire comme avant » sont nombreuses. « C’était mieux avant » est une phrase emblématique de cet état d’esprit, et elle d’autant plus forte qu’elle est profondément ressentie par ceux qui la prononcent. Il n’est pas difficile pour de bons lobbys d’agiter la peur du futur et de l’aventure, et de dissuader de l’exploration de mondes différents. Le discours souvent anxiogène des militants du développement durable contribue également à créer ce ressenti. Il en résulte une forme de conservatisme anti-développement durable, difficile à contourner, malgré l’évidence des faits et la pertinence des analyses.
Incontestable pour les affaires personnelles, le ressenti devient un défi pour les affaires publiques. Le souci de « bonne gouvernance » implique la prise en compte de ce ressenti, souvent en décalage avec les faits. Un défi d’ordre culturel, qui ne peut être relevé sans une politique continue d’appropriation de ces affaires publiques, dans un contexte où l’individualisme et la compétition sont souvent mis en avant. Un défi à relever collectivement, par les responsables politiques, économiques, sociaux et environnementaux.
Le mot est à la mode en matière météorologique. La température ressentie est souvent bien différente de celle mesurée par le thermomètre. Un éclairage introduit il y a quelques années, et qui est totalement adapté au sujet : chacun ressent, avec son corps, les éléments climatiques, avec la température mais aussi le vent et l’humidité. Il faudrait y ajouter l’historique, pour intégrer le degré d’accoutumance du corps, les changements brutaux accentuant le ressenti.
Ressenti et domaine personnel, intime, la relation est directe. Il n’en est pas de même pour les phénomènes collectifs. Chacun voit midi à sa porte, et le ressenti est souvent trompeur. Comment juger d’une affaire qui intéresse tout le monde à travers son prisme personnel, sans biaiser le jugement ? Et pourtant, dans les affaires publiques, c’est souvent le ressenti qui emporte la décision, ou plutôt la somme des ressentis individuels. Les scrutins et les sondages sont le résultat d’additions de sentiments forgés chacun chez soi, avec des éléments recueillis par chacun dans son univers. Echanges avec les proches, les collègues au travail, télévision, radio, journaux, réactions à des évènements qui vous touchent, ambiance générale, dynamique ou morose, état de santé, forme physique, moral des troupes, autant de facteurs, et j’en oublie surement beaucoup, qui contribuent à la formation de l’opinion, autant qu’une analyse objective des données accessibles. Les politiques sont conduits à coller à ce ressenti, et à l’intégrer dans leurs discours, ce qui le renforce et finit par lui donner force de loi, y compris au sens littéral du mot. En termes de communication, il est bien connu que le vrai ne vaut rien, c’est le vraisemblable qui s’impose.
Il en est ainsi pour le développement durable et ses différentes approches, telles que la lutte contre le dérèglement climatique ou l’accueil des immigrés. Les organismes, tels que l’OCDE, la Banque Mondiale ou France Stratégie, pour lesquels la croissance économique est une préoccupation majeure, le disent depuis quelques années : la prise en compte de l’environnement est un facteur de croissance, les transitions écologiques ou énergétiques en sont de bons leviers, les inégalités sociales sont un frein et les discriminations coûtent très cher à nos économies, l’immigration est une ressource, etc. Pour les « experts », les trois composantes du développement durable convergent « naturellement » ou sont appelés à le faire pour sortir « par le haut » des crises que nous connaissons. Ce sont nos rigidités, une certaine frilosité, des approches anciennes et partielles, qui les opposent, des restes du passé qui nous coûtent très cher.
Le ressenti est tout autre. Le développement durable est une épreuve, un sacrifice (pour certains une expiation), une charge supplémentaire dont nous n’aurions pas besoin en ces temps difficiles. Une part notable de l’opinion consent à cet effort, mais ça reste justement un effort, une bonne action pour la planète ou les générations futures. L’idée que ce soit en plus une bonne opération pour aujourd’hui leur est étrangère, et tous les discours sur la création d’emplois liés à la transition glissent sur les esprits sans y pénétrer. Le ressenti est qu’il y a opposition entre environnement et économie. Il est d’autant plus solide qu’il s’appuie sur le vocabulaire officiel, qui dit qu’il faut les « réconcilier », terme qui dit bien qu’a priori ils sont en conflit. L’approche morale contribue aussi à ce ressenti, comment peut-on être gagnant et faire le bien ? Dans l’autre monde peut-être, mais dans celui-ci, la recherche du profit est proche d’une forme d’exploitation, incompatible avec le développement durable.
Ce décalage entre les « experts » et l’opinion est du bon pain pour tous ceux qui veulent fait perdurer l’ordre ancien. Crainte du changement et peur de l’avenir, ou défense d’intérêts construits dans l’ancienne économie, les bonnes raisons pour « faire comme avant » sont nombreuses. « C’était mieux avant » est une phrase emblématique de cet état d’esprit, et elle d’autant plus forte qu’elle est profondément ressentie par ceux qui la prononcent. Il n’est pas difficile pour de bons lobbys d’agiter la peur du futur et de l’aventure, et de dissuader de l’exploration de mondes différents. Le discours souvent anxiogène des militants du développement durable contribue également à créer ce ressenti. Il en résulte une forme de conservatisme anti-développement durable, difficile à contourner, malgré l’évidence des faits et la pertinence des analyses.
Incontestable pour les affaires personnelles, le ressenti devient un défi pour les affaires publiques. Le souci de « bonne gouvernance » implique la prise en compte de ce ressenti, souvent en décalage avec les faits. Un défi d’ordre culturel, qui ne peut être relevé sans une politique continue d’appropriation de ces affaires publiques, dans un contexte où l’individualisme et la compétition sont souvent mis en avant. Un défi à relever collectivement, par les responsables politiques, économiques, sociaux et environnementaux.
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