Plaisir
Loin de l'austérité souvent décrite autour du développement durable, celui-ci est une source de découverte permanente de nouveaux plaisirs. A condition de savoir les trouver !
Est-ce notre culture ? Le plaisir est suspect. Les bonnes choses sont mal vues, il doit y avoir une faute quelque part. Même dans les chansons, le plaisir d’amour est source de chagrin, qui dure en plus toute la vie. Le développement durable, dans cette approche volontiers moralisante, suppose que l’on se serre la ceinture, que l’on fasse des sacrifices.
C’est le prix à payer pour les excès d’hier, auxquels on a bien du mal à mettre un terme. Tel qui rit vendredi dimanche pleurera, le célèbre alexandrin de Racine dans Les Plaideurs, résume bien ce sentiment que l’on ne peut avoir de bonheur sans le payer au prix fort. Le développement durable est ainsi pris en otage d’une culpabilité ambiante. Il devient une ascèse, un régime de rigueur. Oui, la rigueur, s’il s’agit d’un mode de pensée, qui s’interdit les impasses et s’efforce d’intégrer tous les acteurs et tous les paramètres. Non si la rigueur est synonyme d’austérité.Il faut effectivement changer de modèle de développement, mais pourquoi renoncer au plaisir ? Ne peut-on pas trouver d’autres modes de vie tout aussi riches en émotions, en émerveillements, en sentiment de plénitude ?
Les plaisirs d’aujourd’hui sont souvent liés à la possession d’un bien, à la consommation directe ou indirecte d’espaces, de ressources naturelles. Plus on possède, plus on consomme de biens matériels, plus on est heureux, plus on le montre, et plus on en donne envie. Dans un monde statique, figé, ce serait peut-être vrai, mais dans un monde en perpétuelle évolution comme le nôtre, ces plaisirs sont souvent éphémères et illusoires. A peine a-t-on accès à un niveau de consommation qu’il faut aller plus loin. Le voisin l’a déjà fait, la publicité et le conformisme ont ringardisé ce que je viens juste d’obtenir. Il faut vite profiter de sa fierté, et de son plaisir, ils ne résistent pas longtemps à la marche inexorable du « Progrès ».
Comment sortir de cette impasse ? Jean-Louis Etienne nous donne une clé : « Il y a de la jouissance dans la frugalité » (1).La frugalité n’est pas qu’une privation, elle peut aussi devenir un art de vivre. Un minimalisme qui se cultive et s’enrichit de l’ouverture aux biens gratuits, offerts à tous par la vie en société et par la nature, tels que le cycle des saisons, les rythmes de la nature. Faut-il encore apprendre à les gouter, comprendre leur complexité et savoir y trouver des satisfactions.
La frugalité se cultive, elle a de la valeur, et elle en crée. Les sports de nature en témoignent abondamment, mais aussi les sports en chambre, tels que la belotte et la philatélie. Des activités qui provoquent de la passion, de la relation sociale, de la recherche permanente d’amélioration. Tout ça sans consommer beaucoup d’énergie ni de matières premières. Que du sentiment, de l'entraînement et de la matière grise. Est-ce vraiment de la frugalité ? On peut être exigeant en se contentant de peu, suppléer la quantité et l’Illusion de richesse qu’elle procure par de la qualité, signe distinctif autrement plus solide si celle-ci est évaluée à l’aune de valeurs stables. « Il peut y avoir du plaisir à devenir acteur de l’environnement », poursuit Jean-Louis Etienne. Bien sûr, comme il y a du plaisir à décorer sa maison, à cultiver son jardin, à observer les oiseaux aux premières lueurs du jour, ou encore à mijoter un plat dont vous me donnerez des nouvelles. Autant de plaisirs qui ne s’improvisent pas, qui demandent un savoir-faire et des efforts que l’on sera content de fournir si on a trouvé le mode de frugalité qui convient. Chacun sa frugalité, il y en a une multitude de possibles, à confectionner soi-même. Il convient d’être sélectif, et de rechercher l’excellence dans quelques domaines plutôt que de tout attraper, de peur de manquer, et de s’en goinfrer jusqu’à plus soif.
Une autre croissance est possible, comme dit le slogan, celle de l’excellence, de l’ingéniosité, de l’imagination, de la générosité, de l’ouverture et de l’indépendance d’esprit. Des valeurs durables, sources inépuisables de plaisir.
(1) Le Monde daté du 18 décembre 2009
Chronique publiée le 20 décembre 2009
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