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Culture, valeurs

Intègrité

 

L’intégrisme est le mot du moment, à l’heure des excès dont il est à l’origine, de même que l’intégrité, au sens de la lutte contre toutes les formes de corruption. Deux mots qui comportent même racine, intègre. Comment conjuguer Intègre et développement durable ?
Intègre. Un mot qui se cuisine comme la langue d’Esope : le meilleur et le pire.

Un mot qui traduit une aspiration largement répandue à l’intégrité, mais qui conduit, si l’on n’y prend garde, vers des dérives redoutables. Intégrité et intégrisme sont les deux enfants d’une recherche d’absolu. La racine latine signifie « entier » ou « intact ». Pas question, dans ces conditions, de toucher à un concept, une philosophie, une religion.
Selon le Larousse, l’intégrisme est une « Attitude et disposition d'esprit de certains croyants qui, au nom du respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution ». On en parle aujourd’hui au sujet de l’Islam, mais le mot « intégrisme » a fait son apparition dans notre langue il y a une bonne centaine d’années dans le monde catholique, secoué par une « crise moderniste ». Combat classique des anciens et des modernes, débouchant sur des exclusions, des anathèmes, des schismes. Le fait religieux est particulièrement propice à cette tendance, mais il n’est pas le seul. On la trouve dans la manière de pratiquer tel ou tel sport, dans la manière d’enseigner, de parler une langue, de Molière ou de Shakespeare, etc. On remarquera malgré tout que l’intégrisme religieux fait souvent beaucoup de dégâts, car il porte sur des valeurs supposées au-dessus de toutes les autres, ce qui autorise des comportements hors normes et le recours à la violence. Certains polémistes ont pu parler de « Dieu, prix Nobel de la Guerre ».
Cette aspiration à l’intégrité, terme qui renvoie à la fois à « entièreté » et à « honnêteté », n’est pas à rejeter pour autant. Un besoin d’éthique se manifeste de plus en plus dans le monde, ou la dérégulation fait des ravages si elle n’est pas tempérée par une discipline, personnelle ou d’entreprise. Le monde de la recherche, par exemple, touché par différents scandales (appropriation des travaux d’autrui, guerre sans merci de brevets, antériorité des découvertes, mais aussi truquage des protocoles utilisés ou des résultats observés, et bien d’autres choses encore) s’est donné une charte à ce sujet, ou plutôt une « déclaration » adoptée par la communauté scientifique en juillet 2010, à Singapour. D’emblée, le préambule évoque l’intégrité : « La valeur et les bénéfices de la recherche pour la société sont totalement dépendants de l'intégrité en recherche. (…) il existe des principes communs et des obligations professionnelles similaires qui constituent le fondement de l'intégrité en recherche où qu'elle soit menée ». Voici donc un principe universel, qui laisse penser qu’une loi commune existe quelle que soit la société où on se place, quelles que soient ses valeurs et la manière dont elles s’expriment. N’y aurait-il pas une touche d’intégrisme dans cette recherche d’intégrité ?
La « déclaration de Singapour » décline ensuite cette éthique, en 14 points plus précis, se rattachant à 4 grandes préoccupations. Vous la trouverez sans difficulté sur Internet.
La demande d’intégrité se manifeste aussi dans le sens « contraire de la corruption ». Celle dernière n’est jamais éradiquée, elle subsiste toujours, à des niveaux variables selon les sociétés. Des mesures anti-corruption sont décidées régulièrement, mais le spectre de l’inquisition et l’exigence de respect de la vie privée sont toujours là et limitent les investigations sur le respect des règles éthiques. L’inquisition est bien une des formes les plus odieuses d’intégrisme, et il est normal de s’en méfier.
Dans un espace mondial « volatil, incertain, complexe et ambigu », VUCA en américain, la recherche de valeurs sures est une tendance naturelle. Des points d’appui stables et intangibles, qui rassurent et offrent des repères pour l’action et le comportement de chacun. L’intégrisme est une des conséquences logiques de l’accélération de l’histoire, boostée par de nouvelles technologies, les mélanges de culture, la mondialisation. Un besoin d’intégrité, au sens de préservation de son univers personnel, se développe, et trouve son carburant dans l’incompréhension des mouvements de société dont nous sommes les acteurs involontaires. Nous en avons besoin, mais conjugué avec l’esprit d’entreprise, pour ne pas être que des spectateurs ballotés par des évènements « qui nous dépassent » et tenter « d’en être les organisateurs ». L’avenir n’est pas écrit, et le passé, malgré tous les enseignements que l’on peut en tirer, ne nous donne pas les clés du futur. Par sa référence exclusive à la tradition et aux règles anciennes héritées d’un passé idéalisé, l’intégrisme nous enferme et réduit notre univers, au moment où il faut libérer l’imagination et la créativité, pour relever les défis de demain. L’intégrisme dans tous les domaines, pas que dans le religieux, avec une attention particulière pour que la recherche absolue d’intégrité ne conduise pas, elle aussi, à l’intégrisme.

 

 

 

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