Intégré
Il arrive souvent que le développement durable soit associé au mot « global ». Le terme est juste, mais présente le défaut d’une approche de type « boîte noire », où l’on ne pénètre pas, avec le risque que tout soit mélangé et se traduise par ce que l’on appelle familièrement de la « bouillie pour les chats ». Il s’agit de prendre la réalité dans sa complexité, en en intégrant toutes les dimensions. Le terme « intégré » apparaît ainsi plus constructif et plus opérationnel que « global ». Il est d’ailleurs utilisé dans un principe très important de la déclaration de Rio, en 1992, au sujet des relations entre environnement et développement : « La protection de l’environnement est partie intégrante du développement, et ne peut être considéré isolément ».
Le développement durable est le fruit d’un principe d’intégration. Ce n’est pas une « couche » supplémentaire, ajoutée aux dimensions traditionnelles de la vie. Trop souvent on trouve dans les projets une rubrique développement durable, parmi d’autres, comme s’il s’agissait d’un paramètre supplémentaire. Le développement durable concerne la manière d’aborder les problèmes, c’est une attitude face aux choses de la vie, qui doit intégrer l’ensemble des dimensions et des acteurs. Elle s’appuie sur l’analyse des enchaînements de décisions, et par suite des méthodes d’intégration verticales. Elle suppose aussi la transversalité des approches. Elle ne rejette pas la spécialisation, nécessaire pour aborder des questions pointues, ni les divisions dans les structures, mais elle demande des niveaux d’intégration horizontale pour dépasser les cloisonnements. Nous sommes bien en présence d’une démarche systémique, alliant l’intégration verticale et l’intégration horizontale.
Cette exigence d’intégration a longtemps été prise en charge spontanément par les acteurs, et l’est toujours pour des questions simples. L’être humain est intégrateur par nature, et c’est sans doute ce qui conduit beaucoup de personnes à affirmer qu’il font du développement durable sans le savoir, comme Monsieur Jourdain. Mais le monde change, les besoins auxquels il faut répondre appellent des solutions de plus en plus sophistiquées, avec un nombre d’ingrédients en rapide augmentation, et d’origines variées. Le défi à relever, faire vivre dignement 9 milliards d’humains dès 2050, sans pouvoir compter sur des stocks inépuisables de ressources, demande des capacités d’intégration d’une toute autre échelle. Il s’agit de fécondation mutuelle des approches de différents métiers, de différentes cultures, de différents secteurs d’activité, dans la perspective d’innovations profondes, tant techniques que « sociétales ». L’époque où chaque spécialiste ignorait ce que faisaient les autres, et où l’on se complaisait dans la confrontation est terminée. Il s’agit de la dépasser, pour aller vers des consensus qui ne doivent pas être « mous », c’est à dire par défaut et sommes toutes conservateurs au mauvais sens du mot, mais fondés sur l’acceptation commune de changements avec leur part d’espoirs et de risques. Il faut intégrer les savoirs et les expériences des uns et des autres.
Il est de même dans les approches techniques, ou les spécialistes apportent des contributions qui doivent être intégrées. On parle parfois, pour définir le développement durable, de l’intelligence à plusieurs ». Ce sont plusieurs talents qu’il faut intégrer, malgré ou à cause de leurs différences.
Prenons trois exemples, pour illustrer ce principe d’intégration.
L'écologie industrielle regroupe les entreprises partenaires dans sur le même territoire. Les transports nécessaires pour évacuer les rejets et approvisionner les entreprises en produits équivalents sont ainsi économisés, ce qui rend par ailleurs rentable le recyclage de matières qui passent du statut de déchets et de polluants à celui de ressource. C’est une vision intégrée de plusieurs activités qui deviennent ainsi complémentaires en une sorte de « métabolisme industriel », résultante de flux et de stock de matières et d’énergie.
A une échelle en général plus modeste, la construction d’un bâtiment relève de la même logique. Au lieu d’ajouter des composants et des matériaux répondant chacun à une exigence particulière, on peut rechercher des techniques permettant d’intégrer plusieurs de ces exigences. L’isolation thermique peut ainsi être « intégrée », par le choix de matériaux mis au point dans cette perspective. Les tuiles et éléments de toiture, et parfois de vitrage ou de façade, vont de plus en plus intégrer des capteurs d’énergies renouvelables, lesquels deviennent ainsi des éléments de toiture, de fenêtre ou de façade, et non des « pièces rapportées » à plaquer sur une construction traditionnelle. La qualité environnementale n’est pas une option, proposée à partir d’un projet classique, c’est une conception différente, intégrant les performances recherchées dans la nature même de l’ouvrage.
Enfin, s’agissant des produits de toutes natures, et même des services, c’est sous le vocable politique intégrée des produits, PIP, que l’on désigne la recherche de biens les plus respectueux de l’environnement, en intégrant l’ensemble de leurs impacts et ceux de leurs usages tout au long de leur vie. Seule une vision intégrée permet de faire un véritable bilan, au-delà des qualités sectorielles.
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