Imaginaire
Les « 30 glorieuses » y ont sûrement contribué, ont installé le « toujours plus » dans notre imaginaire. Le rêve d’une vie meilleure est apparu comme une réalité, que nous voudrions prolonger indéfiniment, et nous avons bien raison.
Un rêve qui nous conduit à désirer ce que possèdent déjà les riches, ceux qui le sont plus que nous, et qui concrétisent l’avenir que nous devrions avoir, une plus grosse voiture, des appareils ménagers qui font tout, le dernier né des smartphones, et des weekend dans les iles. Nos aspirations se forgent par l’observation de ce que font les autres, ceux qui nous sont présentés comme des modèles, notamment à la télévision et dans les publicités. Nous voilà engagés dans une dynamique du toujours plus, alors qu’il faudrait passer au « toujours mieux », un mode de vie qui nous donne plus de plaisirs tout en réduisant nos prélèvements de ressources naturelles. Nos imaginaires nous poussent dans une direction, notre raison devrait nous pousser dans une autre. Un grand écart qui devrait nous interroger, et interpeller en particulier toutes les professions qui influencent nos goûts et nos envies, qui vont parfois jusqu’à façonner nos modes de penser.
Sous couvert de modernité, la plupart des messages véhiculés sont conservateurs, ils s’appuient sur les modèles culturels dominants, et consolident ainsi une vision de l’avenir à rebours du sens de l’histoire. Ce faisant, ils ne font pas les affaires de ceux qui les émettent, menacés par l’évolution du contexte.
Prenons l’exemple de la maison individuelle. Concept qu’une ministre n’a pas hésité à qualifier de « non-sens écologique ». Elle reste dominante dans l’imaginaire des français, mais elle est fortement critiquée, les faillites des constructeurs se multiplient, la loi « zéro artificialisation nette » réduit leur champ d’action. Comment en est-on arrivé là ?
La maison individuelle présente pourtant bien des atouts pour l’environnement. Elle offre de plus grandes surfaces pour capter des énergies, permet plus d’ouvertures à la lumière et au bon air, et le jardin qui l’accompagne ouvre de nombreuses possibilités : infiltration des eaux pluviales, recyclage des déchets organiques, potager nourricier, et pourquoi pas une paire de poules pondeuses, un ou deux arbres fruitiers, végétation d’origine régionale. Et en prime, le chant des oiseaux que vous aurez su attirer, et que vos enfants observeront avec curiosité. Vous n’aurez pas envie d’aller passer vos weekends ailleurs.
Autant d’atouts aujourd’hui accessibles sans grands frais et absents des publicités, qui doivent manifestement en ignorer l’existence. L’accent y est mis sur le gazon toujours vert et gorgé d’azote, la piscine, le barbecue, le garage devant lequel se trouve un superbe 4x4, bref tout ce qu’il faut pour se faire étriller au nom de l’écologie. Des arguments qui flattent les imaginaires d’hier, les renforcent, et qui conduisent à des impasses. Ce n’est pas la maison individuelle qui est mauvaise en soi, elle peut même être écologique, mais l’usage qui en est fait, un usage mis en avant sans modération par la publicité, et qui conduit aux restrictions que l’on observe. Une publicité qui se retourne contre ses annonceurs. Il n’est pas toujours bon de caresser ses clients dans le sens du poil, il vaut mieux contribuer à un changement d’imaginaire.
Il n’y a pas de fatalité. Les grandes surfaces craignaient que de ne plus vendre de surgelés avec des bacs ou des armoires frigorifiques fermées. Eh bien leurs clients leur ont donné tort, ils n’hésitent pas à soulever un couvercle ou à ouvrir une armoire pour se servir. Au lieu d’être des « suiveurs », les annonceurs pourraient adopter une attitude active favorable aux nouvelles valeurs, celles du futur.
Le cas de la voiture est similaire. Au lieu de participer à la diffusion de nouveaux usages, de nouvelles formules d’accès au service de mobilité, l’effort et le lobbying des constructeurs tentent de renforcer l’attachement à SA voiture, la plus équipée possible, et finalement la plus lourde. Le SUV en tête d’affiche, à lui tous les efforts de publicité. Le prestige, lié à l’imaginaire créé par la voiture, plutôt que le pragmatisme et le souci d’économies de ressources. Les constructeurs assurent que ce sont les clients les coupables, ils n’achèteraient pas de voitures petites et plus économes, ils y sont attachés et veulent l’avoir devant leur maison. Qui croira que, avec 10% du prix des voitures consacrés à la publicité, les constructeurs sont incapables de faire évoluer l’imaginaire de la voiture personnelle. Le passage du thermique à l’électrique aurait pourtant été une occasion unique de proposer une nouvelle image de l’automobile. La réalité est à l’opposé. Les gros modèles sont en tête de gondole, les plus puissants et les plus lourds. Ne nous étonnons pas si, dans ces conditions, toutes les grandes villes au monde tentent de les tenir à l’écart.
La sensibilité est le moteur de l’intelligence, disait Paul Valéry. Le rôle de l’imaginaire, en cette époque de « grande transformation », est déterminant pour le succès de cette dernière. Il avait été proposé que tous les parlementaires soient initiés au développement durable. Il serait bon que, dans la même veine, les influenceurs et autres faiseurs d’opinion de soient également. Urgent.
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