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Culture, valeurs

Histoire



Au pluriel, tout d’abord, très rapidement : Les contes de notre enfance, comme les romans que nous lisons, les films que nous allons voir. Ces sont des histoires, fictions ou réalité, qui mettent en scène des évènements, avec des acteurs, des caractères. Ces histoires nous impressionnent, au sens photographique du terme, elles entrent en nous. Elles forgent nos mentalités, exercent notre sensibilité, donnent un sens aux choses de la vie. Le grand méchant loup et les contes de Perrault, avec Guignol, bien entendu, nous disent où est le bien et le mal, qui est gentil et qui est méchant, et renforcent ainsi le système de valeur dominant. D’une certaine manière, ce blog reprend à son compte cette logique d’histoires, avec des billets qui, pris séparément, n’auraient pas grand sens, mais dont l’accumulation constitue un ensemble que j’espère cohérent et démonstratif, même si il ne s’inscrit pas dans un mode de pensée dominant.

Au singulier, maintenant, l’Histoire. Il s’agit de nos racines, de la manière dont notre société s’est constituée au fil du temps, et chacun sait qu’on construit d’autant mieux l’avenir qu’on a bien compris le passé, qu’on en a tiré tous les enseignements. L’Histoire, c’est notre expérience collective, qui nous est bien utile pour avancer dans le 21e siècle. Encore faut-il qu’elle soit vraie, qu’elle ne soit pas réécrite pour des besoins particuliers, au point que les enseignements n’en deviennent illisibles ou carrément faux.

La France a une histoire, pas toujours glorieuse. De mauvaises actions ont été conduites en son nom, à des époques où les systèmes de valeur n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Après une longue période où tous ces évènements étaient occultés ou présentés complaisamment, la tendance actuelle est à l’accablement. On parle alors de repentance, d’excuses à présenter à d’autres peuples. Je serais bien surpris qu’il existe à la surface de la planète, des peuples exempts de tout péché, surtout si leur histoire est évaluée aujourd’hui, avec les canons des sociétés occidentales du 21e siècle. L’histoire du monde, ancienne et récente, est pleine de massacres, de génocides, de déportations, d’esclavage sous diverses formes. Chacun peut s’en repentir, et tant mieux si ça soulage sa conscience, mais l’important n’est pas là. L’important, c’est le présent et l’avenir, et pour cela la mémoire du passé peut être déterminante, à condition bien sûr qu’elle ne soit pas faussée. Cette mémoire doit nous aider à comprendre comment des enchaînements terrifiants ont pu se produire, quels sont les mécanismes vertueux et ceux qu’il faut tuer dans l’œuf, avec en fond de décor la reconnaissance d’autrui et l’intérêt porté à ses différences.

L’histoire élaborée à des fins de glorification de la patrie ne répond pas à cette attente. Cette conception a peut-être été utile à certaines époques de notre histoire, pour aider à la constitution des nations. On pourrait sans doute avancer aussi le contraire, si l’on met en balance le prix humain à payer pour la constitution desdites nations. Et ce n’est pas terminé. L’Histoire jugera. L’histoire à fins patriotiques ne nous apprend rien, et ce n’est d’ailleurs pas son objectif. Elle ne peut que déformer la réalité, consciemment ou non, et ne s’intéresse guère aux mécanismes humains, aux déterminants sociaux, économiques, à l’influence des nouvelles techniques, sur l’évolution des peuples et les relations entre les peuples.

L’Histoire qui nous intéresse pour construire un avenir durable, est bien différente. Elle dépasse chaque peuple, et tente de reconstituer, à partir de l’observation des évènements, une connaissance des comportements humains, et de donner une explication à l’état de notre pays et du monde. Une explication par nature évolutive, car l’histoire n’est jamais finie, elle se construit chaque jour, la récente mais aussi l’ancienne, éclairée par des données nouvelles, des découvertes, des analyses rendues possibles par les techniques modernes.

Pour cela, deux attitudes sont possibles. Tout d’abord lutter directement contre toutes les formes de réécriture. L’anniversaire de la libération de Paris nous en offre une illustration. Contrairement à l’idée colportée habituellement, notamment au cinéma, ce n’est pas le général allemand Von Choltitz qui a refusé de détruire Paris, c’est l’ampleur de l’insurrection qui lui en a ôté les moyens. Le succès de l’insurrection est porteur d’enseignements : La Résistance regroupe la diversité politique et sociale de la France. Cette diversité est parfaitement incarnée et symbolisée par les trois V : Vaillant-de Vogué, Villon, Valrimont. C’est ce triumvirat, composé d’un aristocrate fortuné, d’un communiste et d’un syndicaliste, qui a su dépasser les oppositions internes, et rassembler l'armée de volontaires et derrière elle, la population toute entière. Si les affrontements entre les différents groupements existent, si leur provenance sociale et politique est diverse, la résistance se veut unie et déploie une vision intégratrice exigeante qui dépasse les individualismes. Elle porte une vue d'ensemble, qui a permis de mobiliser et de remporter une victoire à laquelle peu d’alliés croyaient. Exactement ce que le développement durable exige, pour relever des défis qui apparaissent impossibles. Mais les enjeux de pouvoir resurgissent rapidement entre les composantes de la résistance, et le mouvement d’union est marginalisé, l’histoire est alors écrite pour reconstruire la France sur des modèles que l’insurrection parisienne dérange. L’enseignement du dépassement des contradictions est oublié.

Une autre voie est de changer d’échelle. C’est bien l’histoire de notre communauté qui nous intéresse, mais on n’écrit pas l’histoire de France à travers un prisme régional. Ecrivons donc l’histoire de l’Europe, dans laquelle on retrouvera celle de la France, dépouillée de tous les artifices nationalistes et conjoncturels. Le magazine le Point vient de publier, dans un numéro récent, l’histoire des Barbares. Et c’est bien une vision à l’échelle du continent européen qui est donnée, de même que celle qui conviendrait pour évoquer les grands évènements qui ont marqué notre monde occidental, comme la réforme, le siècle des lumières,la révolution industrielle, le colonialisme, et la montée des différentes formes de fascisme. Pour comprendre les mécanismes de développement, il faut choisir la bonne échelle, celle de l’Histoire.



Merci à Anne Fortier-Kriegel de ses précieuses indications sur la libération de Paris, et la dynamique impulsée par les 3V.

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