Gourmand
Tout est bon pour mobiliser nos concitoyens au dérèglement climatique. Des restaurateurs alsaciens ont le culot d’associer Climat et Gourmand. Une audace ingénieuse, et pleine d’enseignements.
Peut-être ne pèse-t-elle pas très lourd dans notre pouvoir d’achat et le PIB, mais notre alimentation contribue fortement à notre « empreinte écologique » et à l’effet de serre. Pour un tiers environ pour les deux approches.
Peut-être aussi est-ce la hiérarchie sociale qui s’est installée entre les activités, le prestige du tertiaire et de la finance contrastant avec le statut bien modeste de l’agriculture et du secteur « primaire ».
Et pourtant, tout vient du primaire, notre nourriture, nos matières premières, notre énergie. Que seraient les autres secteurs sans le « primaire », le bien nommé car toute vie découle de lui. Le développement durable réhabilite bien évidemment les ressources naturelles, et prône un mode de vie compatible avec ce dont nous disposons, ce que la planète produit en continu pour notre bonheur. Il ne s’agit pas seulement de raison, mais aussi de sensibilité. La croissance de la population mondiale fait craindre la pénurie alimentaire, on s’inquiète de devoir manger des insectes, les agriculteurs manifestent devant les préfectures, halte aux OGM et aux pesticides, c’est la peur du lendemain qui remet le secteur primaire à l’ordre du jour. Ce n’est pas ce qui redorera son blason. Il faut aussi un aspect positif, attractif. On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance, disait Jacques Delors ; on ne tombe pas amoureux d’une agriculture raisonnée, ni même bio.
Comment rendre agréable, désirable, une alimentation économe en ressources naturelles ? Une agriculture qui respecte les sols, les rend capables de stocker des milliards de tonnes de CO2 ; qui offre une rémunération décente aux hommes qui la pratiquent ; qui permet aux populations les plus modestes de trouver sur le marché les aliments dont il a besoin ?
Nous voici dans une région gastronomique, l’Alsace, plus précisément l’agglomération de Mulhouse. Des restaurateurs ont lancé en 2010 une opération « Climat gourmand ». Deux mots que l’on trouve rarement accouplés. Un thème difficile, très technique, à long terme d’un côté, et un plaisir de l’autre, voire un péché capital, à consommer immédiatement. Un mariage original, célébré par une petite vingtaine de restaurateurs, une cohorte qui s’accroît d’ailleurs chaque année. Une idée qui fait son chemin…
L’idée est simple : Proposer des plats cuisinés à partir de produits frais, locaux et de saison, si possible bios, et avec une option végétarienne. Nous sommes dans un triple dividende, comme on les aime dans le développement durable : le plaisir d’un repas dans un restaurant renommé, l’encouragement à la production locale, et la lutte contre l’effet de serre. C’est mieux que de serrer la ceinture ! Tout ça dans un « Plan climat territorial », on voudrait bien qu’il y en ait plus de ce genre. En plus du menu, les restaurants participent à une campagne contre le gaspillage, et les clients peuvent partir sans honte avec leur « doggy bag » contenant les restes de leurs plats. Ça s’appelle des « gourmand’s box », en carton recyclé et recyclable. La ville de Mulhouse offre en outre une carafe pour l’eau. Le rêve !
Ce n’est pas la première initiative de ce type. Des restaurants parisiens avaient lancé un mouvement similaire, dans les années 2009-2010, avec des producteurs choisis dans un rayon de 200 km autour de la capitale. Heureusement, il y a dans ce périmètre le champagne, le vin de Bourgogne et les fruits de mer de Normandie ! Toujours en 2009, un grand cru apparemment, le gouvernement danois avait demandé à des grands chefs de créer des plats économes en énergie de cuisson. En route vers le cru, la « cru sine » a-t-on pu dire sur ce mouvement vers la cuisson minimum. Les cuisiniers se sont mis au travail, retrouvant d’anciennes méthodes comme la macération, et en en inventant de nouvelles. Le résultat est là : loin d’être une pénitence, cette modération sur la cuisson a permis de renouveler les pratiques et de trouver (ou de retrouver) de nouvelles saveurs, un vrai plaisir ! Quelle découverte : climat et gourmandise peuvent aller de pair. Il fallait le démontrer, et maintenant, il faut le populariser comme nos amis alsaciens le font chaque année au mois de juin depuis 5 ans.
La lutte contre le dérèglement climatique offre de nombreux avantages, sans doute bien plus faciles à « vendre » que la peur des catastrophes. Elle permet de manger mieux, et de découvrir de nouveaux plaisirs. Elle permet aussi, dans les pays du Sud notamment, de renouveler les techniques agricoles, en favorisant la création d’humus dans les sols, à la fois source de production et puits de carbone. Un double dividende qui devient vite triple, en permettant à des populations de se maintenir dans leurs territoires d’origine et d’y vivre bien.
La gourmandise est un vilain défaut, dit-on. C’est aussi une bonne raison de changer ses habitudes alimentaires, pour le plus grand bien de la planète !
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