Rentier
On dit souvent que la France est un pays de rentiers. Est-ce une bonne chose, pour le développement durable ?
Cultiver son jardin, voilà une attitude « durable », à condition d’adopter de bonnes méthodes de culture. Une exploitation qui permet à la fois de tirer un bénéfice immédiat et d’enrichir le sol, de maintenir une diversité biologique, de stocker l’eau qui tombe du ciel et d’offrir un paysage agréable.
Voilà bien une tâche de rentier, qui veille sur son bien et sa pérennité. Mais le monde change, le nombre d’êtres humains explose, et leurs exigences aussi. Certaines sont exagérées, mais beaucoup d’autres sont légitimes, comme le droit à une alimentation saine et à la santé. Elles pourraient s’étendre à toute l’humanité, si les moyens étaient accessibles. Dans ces conditions, cultiver son jardin, toujours avec les mêmes méthodes, risque fort de trouver ses limites, et de ne pas répondre aux besoins. Il faut produire plus, toujours en ménageant le milieu et ses capacités de production, bien sûr. Il n’est plus possible d’attendre que la rente tombe comme avant, il faut innover.
C’est en ce sens que je prétends que le développement durable est une affaire d’entrepreneurs, au sens de l’esprit d’entreprise. De vrais entrepreneurs, car certains ne sont en définitive que des rentiers, en état d’esprit. Au lieu d’innover, ils cherchent à faire durer le filon qui leur a permis de créer leur richesse. En reprenant l’analogie du jardin, ils cherchent à tirer le maximum de leur terre, en abandonnant sa pérennité, ou alors à coloniser de nouvelles terres, pour continuer à faire comme avant. Dans un monde « fini », chacun voit bien que ces deux attitudes mènent à l’impasse.
Les entreprises qui cachent des rentiers sont d’autant plus nombreuses que la tendance à les assimiler à leurs actionnaires progresse. Quand on entend dire que le but d’une entreprise, sa raison d’exister, est de gagner de l’argent pour ses actionnaires, on n’est pas loin du concept de rente. Peu importe l’objet social, le service que l’entreprise doit fournir ou le produit qu’elle doit offrir. Le capital n’est plus l’investissement nécessaire à la production, mais la mise de fonds pour une rente. L’état d’esprit a changé, et les medias nous rappellent régulièrement que l’argent qui circule dans les bourses ne se retrouve au service de la production, de l’entreprise au sens plein du terme, que dans une faible proportion, moins de 10%. Les français ne sont pas les seuls rentiers !
Etonnez-vous ensuite que les compagnies pétrolières, et toutes sortes d’entreprises liées à ce secteur, continuent à chercher de nouveaux gisements alors qu’il est aujourd’hui reconnu qu’il faudrait laisser une bonne partie des réserves connues dans leurs sédiments géologiques, bien loin dans les profondeurs de la terre. Le point sensible n’est plus la ressource, mais le rejet qui contribue à l’effet de serre. De véritables entrepreneurs seraient entièrement tendus vers la transition, et consacreraient l’essentiel de leurs forces et de leur argent à explorer des voies nouvelles, mais ce serait sans doute au détriment de la rente immédiate. La chute récente du prix du pétrole est à cet égard une douche froide, qui affecte durement le montant des dividendes disponibles, et jette un doute sur l’intérêt des recherches en cours de nouveaux gisements.
Nombreux sont ceux qui recherchent la protection de l’Etat et des frontières. Au lieu de faire évoluer leurs produits pour avoir toujours une longueur d’avance sur leurs concurrents, ils préfèrent continuer comme avant à bénéficier de leur rente, à l’abri d’une protection qui finira bien, un jour ou l’autre, par être submergée comme le sont souvent les digues. Il faut donc changer de modèle économique, et explorer de nouveaux territoires pour l’avenir. C’est ce qu’a fait Toyota, par exemple, il y a quelques années, en valorisant sa compétence pour créer des robots en complément de son savoir-faire de fabricant de voitures. Sans abandonner ses compétences et son histoire, l’entreprise les valorise dans des domaines d’avenir au lieu de tenter à tout prix de prolonger son ancien domaine de prédilection. La transition est en route, avec un pied dans le passé et un autre dans le futur. Les compétences des entreprises leur permettent souvent de diversifier leur production, mais il faut en avoir envie, et entrer dans l’aventure d’un nouveau modèle économique ouvert sur le futur. Un état d’esprit d’entrepreneur, et non de rentier.
Les moyens industriels mis au service de l’exploitation des « bien communs », comme tel minerai ou tel stock de poissons, ont permis d’accroître fortement la production, et par suite la pression sur la ressource. L’esprit d’entreprise conduit à chercher comment mieux valoriser cette ressource, comment en tirer le maximum de service rendu, et non de prolonger l’ancien mode d’exploitation comme si le patrimoine commun était une rente éternelle. C’est cette attitude qui permet de ménager la ressource. C’est aussi dans la transformation et l’efficacité dans l’usage des matières premières que se fera la valeur ajoutée de demain.
Pendant des siècles, la terre était à l’origine de la rente. Elle enrichissait le rentier pendant son sommeil ! Mais la terre n’en peut plus, elle ne peut fournir sans que des entrepreneurs ne s’empare de sa production pour la valoriser au mieux. Pour alléger le poids qui pèse sur la planète, notre « empreinte écologique », il faut des entrepreneurs qui ajoutent de la matière grise à la matière première, pour en décupler l’efficacité. Ce sont eux qui rendent possible le facteur 4, deux fois plus de bien être en consommant deux fois moins de ressources. Le danger serait que le rentier s’accroche à ses privilèges, et qu’il contrôle l’entrepreneur. L’assimilation de l’entreprise à ses actionnaires, trop fréquente aujourd’hui, met l’entrepreneur à la merci du rentier. Pas bon pour le développement durable, où l’esprit de découverte et d’entreprise est en première ligne.
- Vues : 2239
Ajouter un Commentaire