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Argent, Economie et PIB

Marchand

Le PIB et les grandes politiques économiques traduisent une attention particulière au secteur marchand. Ce serait une erreur de ne pas s’intéresser aussi à son complément, le secteur non marchand.

C’est comme l’immatériel : il fait partie du capital d’une entreprise, il y est même dominant, mais il ne figure pas au bilan. La richesse d’un pays, la production d’aménités, de services, de biens, est d’origine diverse : ici, elle s’échange sur le marché, et elle est comptabilisée, mais là elle se donne, s’autoproduit, s’échange sans argent, et échappe à toute comptabilité. L’économie domestique, citoyenne, le bricolage et la production des potagers n’entre dans l’économie officielle que par ses achats. Tout se passe comme si elle ne produisait rien ! Cette économie de deuxième zone est ainsi laissée pour compte, alors qu’elle représente un potentiel qu’il convient de valoriser, surtout en période de crise.


A l’échelle mondiale, les estimations des apports gratuits de la nature sont controversées, mais le chiffre minimum avancé est qu’ils représentent au moins l’équivalant du PIB mondial. Pour un pays, la somme des richesses offertes par la nature et de celles des activités non rémunérées représente bien plus que sa production marchande, mais il ne s’agit que d’estimations, de calculs toujours contestables. Résultat : le secteur non marchand est négligé, voire même oublié et parfois même combattu. Il est vrai qu’il ne produit pas d’impôt, qu’il fait parfois concurrence au secteur marchand, et que l’auto production échappe aux contrôles, techniques, sanitaires et environnementaux. Les produits locaux, parfois présentés somme « naturels », n’offrent pas les mêmes garanties  sanitaires que leurs équivalents industriels. Beaucoup ne sont pas du tout naturels, et la quantité d’engrais et de pesticides utilisés en jardin individuel est souvent bien supérieure à celles utilisées par les agriculteurs « raisonnés ». Il ne faut pas idéaliser le non marchand, il présente aussi des limites.


Les deux secteurs, marchand et non marchand, ne sont pas indifférents l’un à l’autre. Ils vivent ensemble depuis toujours. La beauté d’un paysage fait la fortune de l’hôtelier. Le premier ministre le l’Environnement, Robert Poujade, disait que le site classé de sa ville, Dijon, lui rapportait plus que sa zone industrielle ! A l’inverse, nombre de jolies rivières de France ont payé un lourd tribut pour permettre à la révolution industrielle de prendre son essor.  Artificialisation du littoral, pollution des sols, les exemples ne manquent pas des dégradations du milieu naturel transformées en croissance du PIB. Elles ont été réduites aujourd’hui dans les vieux pays industriels, mais pas partout. Elles sont évaluées dans beaucoup de pays à environ 1% du PIB, mais  elles peuvent monter à beaucoup plus, comme en Chine. C’est une atteinte au capital productif de la planète qui est ainsi faite. Une orientation inquiétante dans la perspective d’une augmentation de la population mondiale, qui ne fera qu’accentuer la pression sur le milieu.


Le secteur non marchand fait faire des économies au secteur marchand, que ce soit dans la sphère domestique ou dans la sphère publique. L’autoproduction touche notamment l’alimentation, le logement, la garde et l’éducation des enfants. Elle apporte aux ménages un complément de revenu et une sécurité, en plus du plaisir d’accomplir ces tâches et de se rendre utile. Elle réduit d’autant la pression sur les salaires. Beaucoup de grandes sociétés l’ont bien compris, qui offraient un jardin à leur personnel. Ces activités se maintiennent de manière isolée ou organisée : les castors pour le logement, les jardins familiaux, les crèches parentales, sont quelques exemples de cette autoproduction organisée. Plus élaborées, on trouve aujourd’hui de nouvelles modalités, telles que la mise en place de monnaies locales, ou des réseaux d’échanges de services.


Le secteur non marchand vient aussi au secours du secteur marchand ou public, notamment dans le domaine social. Le bénévolat vient au secours de la société et des pouvoirs publics défaillants. Sans restos du cœur, combien la collectivité devrait-elle payer pour assurer la subsistance des malheureux qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins ? Le secteur non marchand amortit les rigueurs des crises du secteur marchand, il est très présent dans des fonctions que la puissance publique ne prend en charge que partiellement, notamment dans les domaines de la culture, de l’environnement, des loisirs, de l’éducation. Le calcul des économies ainsi réalisées pour le budget de l’Etat et des collectivités a-t-il été fait ?
Un dernier point doit être souligné sur les apports du non marchand : sa créativité. A côté de nombreuses tâches traditionnelles, l’initiative est reine. Les besoins émergents sont pris en charge spontanément, et préfigurent des réponses que la société doit imaginer et mettre en place.


Il n’est pas question ici le mettre le secteur non marchand au pinacle, il a ses limites et il serait bien imprudent de vouloir s’en affranchir. Mais l’oubli dont il est l’objet dans les discours et les bilans relève du déni. Sa fonction dans la société, et notamment dans les périodes de mutation profondes comme celle que nous vivons, est essentielle. Il faut tout simplement marcher sur deux jambes, marchand et non-marchand.

Chronique mise en ligne le 23 décembre 2013

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