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Argent, Economie et PIB

Glorieuses

Comment retrouver le chemin de la croissance ? On sent une forme de nostalgie dans cette question. Et pourtant, le passé parfois si « glorieux » n’est pas exempt de défauts, de défauts « durables ».

En ces périodes de stagnation, nous rêvons d’une croissance régulière, de l’ordre de 3 à 4% par an, qui permette de proposer des emplois à tous et d’assurer une hausse continue du pouvoir d’achat.

N’a-t-on pas en tête la nostalgie des 30 glorieuses ? Le bon temps où les problèmes se résolvaient d’eux-mêmes par cette montée régulière de la production et de la masse monétaire. Les problèmes du moment pouvaient aisément être résolus avec des chèques sur l'avenir. Celui-ci était ainsi hypothéqué pour une part, mais il était tellement prometteur que l’on pouvait se permettre toutes les audaces.

Il convient de s’interroger sur les traces que ces 30 glorieuses ont laissées, voire les factures que nous payons encore aujourd’hui, et peut-être pour longtemps. Elles ont en effet été construites sur des bases qui sont aujourd’hui ébranlées, mais qui ont structuré durablement notre mode de vie, nos villes et nos campagnes.
Les 30 glorieuses ont marqué notre système productif, et notre organisation du territoire. Il fallait produire beaucoup, pour reconstruire le pays après la guerre, pour assurer le statut de grande puissance, pour remplir une mission civilisatrice, pour exporter des produits manufacturés dans nos usines. L’automobile a été un secteur clé de cette croissance, entrainant la métallurgie, et de nombreux sous-traitants. L’agriculture a reçu pour mission de satisfaire nos besoins propres, et ensuite d’exporter et de nourrir le monde, tout en se modernisant pour fournir une main d’œuvre à l’industrie. Les résultats ont été spectaculaires, mais sont-ils durables ?

Il ne serait pas venu à l’esprit, alors, d’évaluer ces orientations et leurs conséquences au filtre du développement durable, ou même du long terme. Les ressources étaient abondantes, il fallait juste les extraire et les incorporer dans les processus de production. Le concept d’empreinte écologique n’existait pas, nous n’avions pas encore franchi le cap de la première planète. Celle dont nous disposons, la terre, produisait alors plus de richesses que nous en consommions. Personne n’imaginait qu’il en faudrait trois, 50 ans plus tard, pour produire ce dont nous aurions besoin si toute l’humanité adoptait de standard de vie européen. Le message de Paul Valéry, « le temps du monde fini commence », pourtant lancé en 1931, n’avait pas été perçu. Et nous avons adapté nos vies et nos territoires à cette nécessité de production de masse. Les paysages ruraux et la richesse biologique qu’ils recelaient ont été sacrifiés sur l’autel de la productivité, les villes ont été adaptées à l’automobile, les tramways mis au rebut. La civilisation de la voiture s’est traduite dans notre habitat, et dans nos villes qui se sont étendues au fur et à mesure que les systèmes de transport, individuels ou collectifs, permettaient d’aller plus loin dans le même temps. L’industrialisation imposait son dictat à la satisfaction des besoins et à l’organisation de la société. Le monde à l’envers.

Le résultat est double. D’une part, nous avons créé une dépendance forte de notre économie à des ressources que nous n’avons pas chez nous. Nous devons donc alimenter en continu un flux massif d’euros en direction des pays producteurs de pétrole et de gaz, après une période où bous avons cru garder la maitrise de la ressource par la force si nécessaire.  D’autre part, nous avons orienté notre économie vers des productions qui, progressivement, sont prises en main par d’autres pays dans des conditions plus avantageuses. Les « avantages compétitifs » de la France avec cette stratégie étaient condamnés à terme, à moins que l’on ait considéré que les pays aujourd’hui émergents seraient incapables d’émerger, ou le feraient sous notre contrôle. Un reste d’esprit colonial, sans doute.

Le confort d’une forte croissance immédiate nous a éloignés d’une structure de production qui privilégierait notre potentiel propre, et en premier lieu le talent et le savoir faire que notre histoire et notre culture nous ont apportés. La production de masse nous met par nature en concurrence avec tous les pays riches en ressources ou en main d’œuvre. Avec 1% environ de la population mondiale, comment espérer se tailler une place sur les productions de masse ? Les 30 glorieuses ne pouvaient pas durer, il fallait prévoir dès le départ comment profiter de l’élan qu’elles apportent pour trouver une base plus durable à notre développement. Après la nécessaire reconstruction, ne fallait-il pas jouer une  carte plus fine, à partir de nos spécificités, des produits personnalisés à haute valeurajoutée, les 400 fromages, à valoriser sans modération.
Cette remise en perspective des 30 glorieuses à l’aune du développement durable n’a pas pour but de dénigrer une période de notre histoire, mais d’en tirer des enseignements au moment où la compétitivité est sur toutes les langues. Le développement durable, c’est trouver des solutions qui ne seront pas les problèmes de demain.

 

Photo Pascal Bernardon - Unsplash

Chronique mise en ligne le 25 novembre 2012

 

 

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