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Argent, Economie et PIB

Division

Les « bonnets rouges » de Bretagne expriment une révolte face à une situation intenable. Comment en-est-on, arrivé là ? Par le choix de la production de masse. Une erreur historique à corriger d’urgence.

Il s’agit ici des divisions du pape, pour reprendre la célèbre phrase de Staline. Une phrase qui exprime la supériorité supposée des puissances quantitatives. Beaucoup, toujours plus, massification, voilà les marques du pouvoir, de la domination.

Une conception qui interpelle les grandes puissances historiques, européennes, qui ne peuvent rivaliser avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou tout autre pays émergent, l’Inde ou le Brésil, sur le terrain de la taille. La France de la révolution de 1789 représentait à elle seule la moitié de la population d’Europe, elle ne « pèse »  aujourd’hui que 1% de la population mondiale. La carte de la quantité, du nombre de « divisions », qu’elles soient militaires ou industrielles, semble bien délicate à jouer. Il faut chercher d’autres atouts. La force du nombre ne joue pas en notre faveur.
On le constate tous les jours, les anciens réflexes, qui datent d’une époque révolue, n’ont pas disparu. Montrer ses muscles par la masse, la production de masse notamment, est une solution de facilité, quand on dispose du nombre. Même quand on sait que ça ne sert à rien, et même si chacun voit qu’une politique traditionnelle mène tout droit dans le mur, on « continue comme avant », sur la même lancée, parce que l’on ne sait pas faire autrement.  Explorer des voies nouvelles comporte bien sûr un risque, mais ne rien changer est le risque absolu. Une différence toutefois : personne ne sera désigné comme coupable dans ce dernier cas, alors qu’une initiative originale loupée vaut condamnation de son auteur, malgré le courage dont il a su faire preuve.
La Bretagne nous en offre aujourd’hui une triste illustration. Une région à forte personnalité, de bonne réputation pour la qualité de ses produits, et qui s’est laissé emporter dans une politique de quantité. Quantité de lait, quantité de porcs, quantité de volaille, etc. Et en suite logique, quantité de pollution, de nitrates et d’algues vertes, entraînant une dégradation nette de la qualité des eaux. Une dégradation qui coûte cher, en traitements, en santé, en tourisme perdu, et en image. La Bretagne, combien de divisions ? Voilà la mauvaise logique qui conduit à des impasses. Une logique suivie avec détermination, pour ne pas dite obstination. Combien de dépassements de capacités autorisées pour l’élevage ont été absouts, et finalement avalisés, aves les aides nécessaires pour se mettre aux normes ? La carte de la quantité conduit invariablement au « toujours plus », en réponse au constat prévisible de la baisse des prix unitaires. Moins de recettes, il faut donc produire plus pour compenser, coûte que coûte, et si possible en « coûts externes », supportés par d’autres. C’est souvent la collectivité dans son ensemble, de manière anonyme, mais c’est aussi telle ou telle activité, notamment celles liées à la qualité des eaux, douces ou marines, qui sont affectées. « Combien de divisions ? » peut tuer.
Il y avait d’autres options que la quantité. La Bretagne y a eu recours dans certains domaines. Par exemple, Lorient a su réduire fortement sa consommation d’eau, d’un facteur 4, pour éviter de devoir accroître ses ressources en eau, au prix de retenues qui auraient fait des dégâts sur l’environnement. Un travail sur les usages de l’eau, et par suite sur les économies à faire, a permis de sortir de la politique du « toujours plus ». Pourquoi cette logique n’a-t-elle pas pu être développée dans d’autres secteurs, de la production notamment ?
Des propositions ont été faites dans ce sens, elles n’ont pas eu de suites. En 1997, par exemple, un rapport(1) propose la piste de la « construction sociale de la qualité ». Au départ, une vision offensive du couple « produit-territoire », fondée sur l’image de la Bretagne, sa réputation et ses savoir faire, et un objectif affiché « d’accroître la valeur ajoutée produite par salarié, offrant de marges de manœuvre en termes de revenus et une meilleure soutenabilité sociale pour le bassin de salariés ». La production de masse l’a emporté, sans doute plus facile à mettre en œuvre, mais plus  artificielle, dans tous les sens du mot, et plus fragile. On en voit les conséquences aujourd’hui pour l’emploi, mais elles se sont manifesté depuis longtemps sur l’environnement.
La recherche de la quantité nous met en concurrence avec les grandes puissances quantitatives. Il est possible de faire face pendant un temps, en arguant une bonne réputation, en obtenant des aides et des dérogations, en « externalisant » des charges, en obtenant des « efforts de productivité », mais la baisse des coûts est la loi du genre, et un jour, il n’est plus possible de suivre. La loi du nombre, des « divisions » ne peut être favorable dans une économie mondialisée, quand on ne représente que 1% de la population. A la production de masse préférons celle de niches, innovantes, à forte valeur ajoutée, où l’implantation territoriale est le meilleur atout commercial, ce qui éloigne « naturellement » toute tentation de délocalisation. Laissons les productions de masse aux pays où les « divisions » sont abondantes, choisissons le cousu-main, la pièce unique, la personnalisation, le sur-mesure. C’est bien plus durable, dans tous les sens du mot.

 

1 Stratégies agricoles & agroalimentaires, articulation d’échelles et développement durable, étude réalisée par SCE Economie et prospective pour le ministère de l’Environnement et l’Agence de l’eau Loire Bretagne, septembre 1997


 Chronique mise en ligne le 3 novembre 2013

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