Cœur de métier
La rigueur est bien sûr nécessaire au titre du développement durable. La rigueur dans les analyses, les comportements, mais la rigueur ne doit pas conduire à l’aveuglement, ou aux œillères. Le recentrage sur le cœur de métier, peut renforcer une crise, si l’on n’y prend pas garde.
En ces périodes de Rigueur, il est toujours tentant de se concentrer sur l’essentiel, le cœur de métier. Si je suis agriculteur, je produis des denrées agricoles pour le marché, si je suis postier, je distribue des lettres, je suis industriel, je fabrique des produits d’usine, etc.
Une priorité, et puis tant pis pour le reste. La simplification des objectifs peut effectivement apporter des réponses immédiates, mais elle ne va pas dans le sens de la vie. La vie est complexe. Chacune de nos actions, même si elle vise un objectif principal, a des effets secondaires.
Le travail, si à la mode aujourd’hui, a de nombreuses fonctions : produire, bien sûr, mais aussi assurer des revenus, offrir une place dans la société, un Statut social, permettre des rencontres et contribuer à la vie collective, et bien d’autres choses encore. Et même le premier poste, la production, est à décliner. Le travail des champs, ce n’est pas que de la production de denrées, c’est aussi la préservation des Sols, la régularisation du régime des eaux, la création de paysages, la création aussi de la biodiversité, etc. Continuons, les denrées agricoles peuvent être de natures différentes.
Bref, la concentration sur un objectif unique peut se révéler satisfaisante pour une entreprise, elle ne l’est pas forcément pour la collectivité. Une série de fonctions prises en charge « spontanément » et gratuitement se retrouvent orphelines. Pour certaines, ce n’est pas grave, mais ça l’est beaucoup plus pour d’autres. Le chômage n’est pas qu’un problème économique, c’est un drame personnel, une déqualification, une désocialisation, une humiliation pour certains. Le coût direct, supporté par l’économie des entreprises et les prélèvements sociaux assis sur le travail, ne représente qu’une partie du coût réel, tout compris, et qui n’est pas que monétaire.
Il n’y a pas si longtemps, les métiers constituaient aussi un statut dans la société. Le boulanger n’est pas qu’un fabricant de pain, il occupe une place spécifique dans la société, avec des responsabilités associées à cette place. Le commerçant ambulant était un lien et un « media » autant qu’un vendeur de marchandises. Les exemples peuvent être multipliés à l’envi. Au-delà de sa mission officielle, chacun se sentait investi d’un rôle, qu’il mettait un point d’honneur à tenir indépendamment de toute considération mercantile ou financière. Les retombées qui en résultaient constituaient une Richesse considérable, dont le tort principal est de ne pas apparaître dans les comptes.
La société du management financier et du contrôle de gestion ignore ces aspects secondaires. Ils n’entrent pas dans les comptes, si ce n’est en termes de Temps passé pour ne pas dire perdu. La chasse à ces activités périphériques est donc ouverte, à grands coups d’audits et de rapports d’activité. Le postier ne fera que distribuer ses lettres, l’agriculteur tirera le maximum de profit de sa terre, les yeux fixés sur les cours des céréales. C’est toute une richesse qui disparait de fait, et en silence puisqu’elle n’apparaissait nulle part si ce n’est dans la vie des gens. On ne parle pas de pouvoir d’achat, mais il s’agit bien d’un appauvrissement, dont les plus modestes sont les premières victimes. La disparition de services et de réseaux sociaux traditionnels se fait discrètement. Au début, c’est sans importance, et puis, à force, on atteint des seuils et les problèmes apparaissent, avec des coûts sociaux qui finissent par entrer dans les comptes.
La rigueur budgétaire affecte aujourd’hui les comptes publics. La RGPP, revue générale des politiques publiques. Les effets indirects de ces politiques et de la présence de l’Etat sont oubliés, au profit de la stricte application de règles administratives. Les services publics sont épurés de toutes les utilités secondaires, comme apporter de la chaleur humaine ou créer du lien. A ne se soucier que de l’essentiel, on abandonne une foule de services, secondaires mais dont la somme contribue à la vie économique et sociale. Le « moral des troupes » n’apparait guère dans les missions des services publics, la sensibilisation à des Valeurs collectives non plus, alors que nous savons que c’est là que se fonde la dynamique d’une société. Les entreprises privées savent que leur valeur réelle est largement « Immatérielle ». Le savoir faire des personnels, leur attachement à l’entreprise, la fidélité des Clients, l’ambiance au sein des bureaux ou des ateliers, autant de paramètres constitutifs de la valeur d’une entreprise qui n’apparaissent pas au bilan.
Il en est de même au niveau d’un pays. Une approche purement comptable et fonctionnelle ne donne qu’une vision très partielle de la bonne santé du pays, y compris la santé économique. Oui, il faut de la rigueur dans la gestion publique, mais pas d’aveuglement. Toutes les dimensions de la vie, comptables ou non, doivent être prises en considération, le cœur de métier ne doit pas faire oublier les à-côtés, qui, cumulés, finissent par être aussi importants que le cœur de métier lui-même.
Chronique mise en ligne le 6 juin 2012
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