
Combien ?
Combien coûtent les services publics ? La question est souvent posée, et le procès instruit par la même occasion. Mais l’instruction doit se faire à charge et à décharge.
Un reportage récent à la télévison nous parle du prix des vélos en libre-service. Combien ça coute ?
Les personnes interrogées sont dans la gamme des centaines d’euros, alors que le prix réel est dans l’ordre des milliers d’euros, un rapport de 1 à 10. Et on nous montre les ateliers de maintenance, les plateformes qui rééquilibrent en permanence les stations, pour que chacune d’elles réponde effectivement à la demande : on prend ici les vélos en surnombre pour les replacer là où il en manque. Tout ça a un prix, et on arrive vite à des milliers d’euros, sans doute un budget total divisé par le nombre de vélos, car le mode de calcul n’est pas expliqué. On remarque tout d’abord que le prix du vélo n’est pas la bonne question, c’est le prix du déplacement qui est intéressant. Un vélo sert des milliers de fois, et son prix est à diviser par le nombre de déplacements auquel il a contribué.
Combien ça coûte, forcément très cher, et la comparaison avec un vélo privé, bien à soi, laisse rêveur… Voilà un reportage bien incomplet. En mettant le projecteur exclusivement sur le coût, et en se cantonnant à un seul mode de transport, le reportage laisse penser que ces vélos en libre-service représentent une énorme dépense. Silence total sur les bénéfices de l’opération, et sur le coût des autres modes de transport.
Effectivement, il faut mettre de l’argent dans ces opérations, comme pour les transports en commun. Un calcul à courte vue, surtout en période de disette budgétaire, pourrait vite dissuader les pouvoirs publics de subventionner ces transports. Jadis, un conseiller de Paris remarquait que chaque kilomètre parcouru en bus coûtait à la ville, alors que le même kilomètre en voiture lui rapportait quelques taxes… C’est bien sûr ignorer les enjeux économiques qui se posent à l’échelle d’une agglomération. La congestion qui résulterait de l’abandon des transports en commun paralyserait vite la ville, et le coût serait considérable. Il ne serait pas supporté dans un premier temps par la collectivité, mais par les acteurs économiques et les particuliers. Pour ces derniers, ils seraient obligés, pour sortir de leur quartier, de posséder une voiture, ce qui leur couterait cher, pèserait sur leur pouvoir d’achat, et se transformerait légitimement en revendication sur les salaires. Les entreprises en seraient affectées, en plus des difficultés d’approvisionnement auquel elles devraient faire face, de la perte de clientèle, des problèmes de recrutement de personnel. Ajoutez, last but not least, les problèmes de santé, de balance des paiements pour le carburant ainsi nécessaire, de salissure et de dégradation du bâti, etc. et vous verrez à quel point l’approche du coût à l’unité de déplacement est trompeuse.
Le vélo en libre-service coûte cher, mais il évite de nombreux autres coûts, et apporte une qualité de vie, une souplesse dans les déplacements, une réduction de nuisances. Tout cela a une valeur, contribue à l’attractivité de la ville, à son bon fonctionnement.
Combien coute tel service, la question est récurrente, et elle est particulièrement pertinente en période de disette des deniers publics. Elle ne doit pas être la seule, et doit s’accompagner de sa sœur jumelle, combien coute l’absence de service ?
Prenez le cas de la santé. Les « déficits » sont pointés en permanence, mais il ne s’agit que du déficit des caisses. Elles ne sont pas abondées à la hauteur de la dépense. Combien coute un déficit de santé dans une population ? La prévention et l’existence d’un système de santé performant représentent une vraie valeur, mais comment l’évaluer ? D’autant que deux phénomènes se mêlent à l’évaluation la qualité : celle de la santé observée dans la population, et celle de la performance de l’organisation retenue. Peut-on obtenir le même résultat en termes de santé publique, mortalité, morbidité, espérance de vie en bonne santé, etc, quel que soient les indicateurs, en réduisant la dépense ? Ce mélange des genres demande une grande rigueur dans les raisonnements et les analyses, de manière à viser à la fois la qualité de la santé de la population, et la bonne gestion de l’argent public.
Le raisonnement peut s’appliquer à tous les services publics. Combien coûte notre diplomatie ? Et l’éducation, la défense, les prisons, l’environnement, etc. C’est pour tenter d’y voir clair que l’on a mis au point de nombreuses méthodes pour rationaliser les choix budgétaires, y introduire du contrôle de gestion, imaginer des « programmes » correspondant aux budgets, etc.
Il est toujours frappant de voir à quel point les financiers sont prudents, pour ne pas dire sceptiques, dans l’évaluation des services rendus. Les retombées indirectes sont rarement prises en compte. Pour revenir aux vélos en libre-service, l’analyse coût/service rendu concerne la mobilité, mais aussi la santé et le tourisme. Et au-delà l’attractivité de la ville, avec les retombées que l’on peut en attendre. Comment évaluer ces avantages ? Souvent, devant l’impossibilité de chiffrer, le réflexe est de mentionner l’avantage dans le texte, mais de l’oublier ensuite dans les tableaux et les calculs. Ils disparaissent des comptes…
Combien ça coûte ? Une bonne question, surtout quand il s’agit d’argent public, mais attention à bien la poser, dans toute son ampleur, pour obtenir une réponse durable.
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