Révolution
On a beaucoup parlé des révolutions industrielles, notamment de la 3e, théorisée par Jeremy Rifkin, basée sur les nouvelles technologies de l’information. Après la machine à vapeur du XIXe siècle, première révolution industrielle, et le recours massif à l’électricité au XXe, deuxième révolution, voici la 3e. Les sources d’énergie sont au cœur des deux premières, mais aussi de la 3e : ce sont les énergies renouvelables, décentralisées et gérée comme un réseau Internet.
L’information devient le nerf de la guerre, c’est le règne du « smart », et de l’intelligence, notamment artificielle. Energie et information sont indissociables, et c’est peut-être ce phénomène qui change tout. Pour ne prendre qu’un exemple, la mobilité, le numérique a bouleversé le paysage. Nos voitures et nos avions sont gérés et quasiment pilotés par des ordinateurs, c’est Internet qui nous dicte le chemin à prendre pour nous rendre à notre destination, c’est lui permet au covoiturage de changer de dimension.
L’agriculture n’est pas exclue de cette évolution. Ça fait des années que chaque ferme est équipée d’ordinateur, tant pour la météo que pour les cours des denrées agricoles, bien avant d’autres secteurs d’activité. Aujourd’hui, le numérique va dans les champs. Il est question de ferme agroécologique 3.0.
Le 4e plan d’investissement d’avenir présenté par le gouvernement comprend un volet agricole ambitieux. Les ministres parlent de 3e révolution agricole, avec le numérique en vedette. Le moteur de la première était le machinisme, après la deuxième guerre, celui de la deuxième l’agrochimie dans le courant de la deuxième moitié du XXe siècle. Le numérique permet à la fois de piloter des drones pour surveiller les cultures, et de donner aux vaches l’accès libre à la salle de traite. Un changement sur les pratiques qui devrait permettre une connaissance fine des champs et des végétaux qui y poussent, aussi bien que la production de lait de chaque vache et son état sanitaire. L’informatique permet une connaissance du vivant, lit-on dans la présentation du plan gouvernemental. L’objectif est double, à la fois de réduire les intrants, en fonction des informations reçues, et rendre le métier d’agriculteur plus attractif en les libérant de nombreuses contraintes, notamment dans les élevages. Autre objectif annoncé : le renforcement des chaines alimentaires locales. Le tout sur fond de décor du changement climatique, auquel il faut s’adapter, et dans le but de réduire le volume des importations liées à la production agricole. Il s’agit notamment de réparer certains effets des deux premières révolutions. La troisième se veut écologique et fait explicitement référence au terme agroécologie.
Nous sommes loin, avec cette 3e révolution, d’une autre approche de l’agroécologie, prônée notamment par l’Académie d’agriculture (1) et l’institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Il s’agit de pratiques fondées sur la diversification des productions, les rotations de cultures, l’observation des milieux, tout en cherchant à bénéficier d’une biodiversité enrichie. Un modèle qui favorise la polyculture et la compétence des agriculteurs. Les études menées par l’IDDRI et ses partenaires depuis 2014 montrent que l’agroécologie peut nourrir l’Europe tout en préservant les sols et la biodiversité, et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre du secteur agroalimentaire (dus pour l’essentiel aux produits azotés). Le modèle de l’IDDRI suppose aussi une évolution de la consommation, notamment une réduction de la demande de produits animaux (2).
Deux modèles, donc, derrière le mot agroécologie, l’un à base de technologie avancée (les mots de green tech et de food tech traduisent clairement l’orientation) et orientée essentiellement sur le produit, l’autre de pratiques traditionnelles revues et corrigées avec les acquis des sciences du vivant, préoccupée par le milieu et accompagnée d’une approche sociétale. La première fait courir le risque d’une spécialisation des exploitations, et surtout de favoriser les plus grandes d’entre elles, pour des raisons d’amortissement des capitaux qui devront être investis dans les drones et les robots. Contrairement à la seconde, elle n’exclut pas les produits phytosanitaires et propose juste d’en réduire l’utilisation au strict nécessaire.
Encore une fois, c’est la relation entre les techniques proposées et l’usage qui en sera fait qui détient la clé. L’approche high tech maintient les agriculteurs sous le contrôle d’autres secteurs d’activité, et risque de produire d’immenses exploitations comme la ferme des mille vaches, mais le pire n’arrive pas toujours, des garde-fous peuvent être établis. Et pourquoi se priver de la puissance du numérique pour améliorer les performances, à la fois sur la production, le milieu, et la qualité de vie des agriculteurs. L’approche plus traditionnelle de l’agroécologie repose davantage sur l’investissement humain, de savoir faire des agriculteurs et de circuits de commercialisation adaptés à la polyculture. Il semble qu’un rapprochement des deux conceptions ne soit pas impossible, le numérique pouvant apporter à l’humain un concours très performant, à condition qu’il ne s’y substitue pas.
L’agriculture est une profession très structurée, avec des coopératives, des conseillers, des organismes techniques et financiers, un système de formation autonome, des fournisseurs puissants et des clients exigeants. C’est cet « écosystème » qui détient la clé du futur des champs. La troisième révolution agricole devra allier l’introduction de nouvelles technologies, l’enrichissement du milieu naturel, le renouvellement des modes de commercialisation, et l’engagement humain.
1 - Voir l’édito du 27 octobre 2021
2 – On pourra aussi se reporter à la note de lecture « L’agroécologie peut nous sauver », de Marc Dufumier
Photo : Guille Alvarez / unsplash
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