Etape
Les grandes ambitions, et il en faut assurément pour le développement durable, ne se réalisent pas en un jour. Il faut une stratégie et des étapes.
Le Tour de France vient immédiatement à l’esprit. Une épreuve cycliste, qui pourrait être le point de départ d’une chronique, mais je ne souhaite pas associer le vélo exclusivement à la compétition, alors que c’est avant tout un moyen de transport de base, simple, non bruyant, non polluant, bon pour la santé, et économique. Arrêtons là l’éloge de la petite reine.Une étape, c’est la marque d’un progrès. Quand les objectifs sont ambitieux, il faut se fixer un plan. Avec une stratégie et des étapes, des points d’arrêt pour des bilans partiels, avec les révisions éventuelles qui s’imposent. Quand on parle de développement durable, on fixe rapidement des objectifs dont certains sont difficiles à atteindre. La réduction des gaz à effet de serre, dont on parle beaucoup, ne s’improvise pas. On tâtonne, on cherche des voies, des manières de procéder qui mettent tout le monde d’accord. A Rio, en 1992, les chefs d’Etat signent une convention de principe, mais pour ratifier un document contraignant, rédigé à Kyoto quelques années plus tard, il a fallu lever bien des obstacles.
Il faut accepter de progresser par étapes. Nous sommes aisément impatients, et on nous le dit souvent, il faut faire vite ! Jacques Chirac, au Sommet de la Terre de 2002, 10 ans après Rio, à Johannesburg, alerte l’opinion mondiale : la maison brûle ! . Comment accepter des pauses dans ces conditions ?
N’opposons pas ambition et étapes. Faire des étapes est souvent la seule manière de réaliser une grande ambition, et ce ne sont pas les alpinistes qui me contrediront, avec leurs camps de base et les haltes nécessaires pour s’habituer aux conditions créées par l’altitude.
Le développement durable concerne tout le monde, c'est-à-dire des catégories de personnes très contrastées quant à leurs connaissances, leurs Centres d’intérêt, leur envie de changer de mode de vie, leurs « modèles culturels ». Il faut donc des stratégies pour entraîner le plus grand nombre, et adopter des approches partielles qui vont, petit à petit, faire toucher du doigt les enjeux, montrer comment chacun peut apporter sa pierre, malgré une très grande diversité de situation.
Les étapes sont culturelles et techniques. La réglementation l’accompagne dans certains domaines, et il n’a pas toujours été facile de faire accepter l’idée que chaque effort serait suivi d’un autre ! Restons dans l’effet de serre. La première réglementation thermique des bâtiments date d'une trentaine d’années, et n’a évolué que lentement dans en premier temps. Maintenant, il est prévu que les exigences grimperont régulièrement tous les cinq ans, pour conduire les professions du bâtiment à des niveaux de performance courante bien plus élevés que ce dont elles sont capables aujourd'hui. Un parcours balisé, avec des étapes tous les cinq ans, pour de grandes ambitions.
Pareil pour la voiture. Il s’agissait là plutôt de pollution de proximité, avec des effets sur la santé, comme les oxydes de souffre et d’azote, ou les Particules. Et des directives européennes ont provoqué des avancées régulières, en intégrant dans le champ des voitures aux cylindrées de plus en plus petites : d’abord les grosses cylindrées, qui consomment beaucoup, puis les moyennes et les petites. On pourrait être plus ambitieux, mais l’important ici est la manière de concevoir les étapes. La même approche a été retenue pour les contrôles techniques des véhicules. Il était impossible d’imposer du jour eu lendemain un contrôle de toutes les voitures, tous les deux ans. Il faut pour cela un réseau d’installations et des personnels compétents, qui ne tombent pas du ciel. On a donc procédé par étapes, d’abord les voitures de plus de cinq ans à la vente, puis même sans vente, puis avec piqûre de rappel tous les deux ans, etc. Une méthode pour monter en régime, pour rester dans l’univers automobile.
A l’inverse, on a fait une erreur en fixant un délai de 10 ans pour supprimer les décharges, sans fixer d’étape. Tout le monde a attendu 9 ans pour se réveiller, et l’objectif n’a pas pu être atteint.
La progression des idées, la pénétration de l’innovation prend différentes formes. On se souvient du stratagème utilisé par Antoine Augustin Parmentier, à la veille de la révolution de 1789, pour faire accepter la pomme de terre. Il fallait avoir recours à la ruse et parier sur la curiosité pour lutter contre les craintes inspirées par ces fruits du sous-sol, qui ne pouvaient de ce fait qu’être des œuvres du démon.
Les étapes sont souvent associées à des catégories de personnes à convaincre, et dont le cercle s’étend progressivement. Il faut des signes de reconnaissances de ces adeptes du progrès, il faut que les difficultés qu’ils rencontrent leur valent autant de mérites !
Aujourd’hui, les labels et autres certificats désignent les pionniers. Pour les économies d’énergie et la pollution, on distingue les voitures « propres » des autres, pas assez nettement sans doute, mais ce n’est qu’une première étape et la généralisation des étiquettes informatives va accélérer le mouvement. Pour les bâtiments, ce sont des labels de performance énergétique qui prennent un nouvel essor. Ils préparent le terrain avec les acteurs les plus engagés, et permettent ainsi de franchir d’autres étapes, celles où l’essentiel des acteurs seront en mesure d’atteindre les niveaux de performance voulus, et avec des prix acceptables.
Accepter le principe d’étapes, c’est aussi refuser la dictature de l’état d’urgence. Il faut faire vite, mais tous ensemble, et avec des apports de chacun. A défaut, il y aura des laissés pour compte, des tricheurs, des poids morts, des incompréhensions qui susciteront des réticences et des blocages. L’efficacité demande avant tout l’adhésion du plus grand nombre. Bien sûr, décrire l’objectif à atteindre est utile, mais pas dans l’absolu : Ce sera un instrument de pilotage, qui doit contribuer à créer une dynamique, car l’essentiel est de trouver les moteurs qui vont pousser les acteurs, de leur proposer un cheminement attractif. Nous retrouvons encore la « bonne gouvernance » !
Chronique publiée le 6 novembre 2006, revue le 8 avril 2011
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