Clandestin
Une grande famille, ancienne, et dont les membres sont très divers. Une variété est en train de naître, celle des clandestins du climat. Tous ceux qui voudraient bien modérer les hausses de température, mais sans changer de mode de vie.
Les rats sont de formidables passagers clandestins. Ils ont profité de nos expéditions maritimes pour conquérir le monde. Le moindre ilot visité par nos navigateurs au cours des siècles s’est vite retrouvé peuplé de nos gaspards, qui y ont parfois bouleversé les équilibres écologiques. D’autres clandestins, moins agiles apparemment, ont su traverser l’Atlantique, en profitant de la guerre de 40. Le chancre du platane nous est arrivé tout droit des Etats-Unis dans le bois des caisses de munition des Américains pour le débarquement de Provence. Leurs traces sont encore visibles, et le resteront longtemps. Il y a aussi nos semelles, les roues de nos engins volants ou terrestres, auxquelles s’accrochent différents organismes vivants, et qui s’installent là où les conditions leur semblent favorables. Si elles prospèrent, elles sont qualifiées d’espèces invasives.
A noter que les invasions ne sont pas toutes clandestines. La pomme de terre, d’origine américaine, a été importée volontairement, et il a fallu beaucoup d’astuce pour assurer sa diffusion. De nombreux fruits et légumes sont de la même origine, comme la tomate, la reine de nos marchés.
Revenons donc à nos clandestins, humains cette fois-ci. Il est souvent question des drames humains de ces migrants qui sont retrouvés entassés dans des camions, ou encore du « travail clandestin » sans lequel une partie de notre économie ne pourrait vivre. Phénomène ancien, qui trouve aujourd’hui des développements liés aux facilités modernes de déplacement.
Il y a une autre forme de clandestins, plus sournoise. Ceux qui profitent de l’action des autres, sans y participer, et même parfois en les attaquant. Ce sont ceux qui assistent sans rien faire aux efforts collectifs dont ils seront les bénéficiaires. Pourquoi participer, pourquoi prendre des risques, puisqu’en cas de succès je serai gagnant comme ceux qui ont fait le job ? Là encore, le phénomène est ancien. Les « ouvriers de la onzième heure » ont même leur place dans l’Evangile. Une bonne place, plutôt flatteuse, qui pourrait pousser à attendre tranquillement pendant que les autres travaillent. Une parabole qui peut s’étendre à diverses formes de changements. Les progrès techniques connaissent souvent des débuts difficiles, les échecs sont nombreux, alors pourquoi se précipiter ? Laissons les autres essuyer les plâtres, embarquons discrètement dans le bateau, clandestinement, sans faire de bruit, de manière à pouvoir quitter le navire ou s’enorgueillir des résultats selon les cas. Des clandestins opportunistes, qui volent au secours de la victoire. Le climat est ainsi propice à l’émergence de nouveaux clandestins, ceux qui attendent les résultats en espérant n’avoir aucun sacrifice à consentir.
Le développement durable, la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, exigent des mesures difficiles, sans garantie de succès, et parfois impopulaires. Comment faire pour bénéficier de ces expérimentations, des retombées de ces nouvelles techniques, sans pour autant investir dans cet effort collectif aux résultats incertain ? Embarquer clandestinement : élémentaire, mon cher Watson !
Nous pourrions nous en attrister. Les passagers clandestins sont souvent des organismes puissants dont les structures et la taille sont des freins à l’imagination. La lourdeur y est la règle, ce sont des gros paquebots qui ne manœuvrent pas aisément. Leur ralliement est toujours bienvenu, même tardif. Il s’observe aujourd’hui dans le secteur des matériaux de construction. Le végétal y prend de plus en plus de place, qu’il s’agisse du bois ou du chanvre, par exemple. Les industriels l’ont bien compris, qui, après une période d’incertitude, se sont positionné sur ce marché, discrètement au départ, pour ne pas dire clandestinement, avant de contribuer plus activement aux matériaux « bio-sourcés ». A l’inverse, les grands pétroliers semblent incapables d’investir dans les énergies renouvelables au-delà de ce qui leur permet d’en parler et de simuler un intérêt pour ces nouvelles techniques.
Bien sûr, le statut de clandestin n’est pas très glorieux, mais il est parfois le passage obligé pour participer aux grandes transformations que nous devons entreprendre, le moyen de contourner des résistances, d’ébranler des certitudes obsolètes. Il vaut mieux monter clandestinement dans le bateau du développement durable que de rester fièrement sur le quai.
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