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Un monde immense

Comment les animaux perçoivent le monde
Ed Yong
©Les liens qui libèrent pour la traduction française, 2023

Un livre immense, pour un monde immense. Un monde à découvrir en entreprenant « le seul véritable voyage » selon Marcel Proust : « avoir d’autres yeux, voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, voir les cent univers que chacun d’eux voit ». L’immensité est là.

Les autres sont ici les animaux. Dès les premières pages de l’ouvrage, nous sommes dans la familiarité d’un éléphant, d’une souris, d’un rouge-gorge, d’une chauve-souris, d’un serpent à sonnette, d’une araignée et d’un moustique, dans la même pièce qu’un être humain, Rebecca. Nous comprenons immédiatement l’étendue des modes de perception de leur environnement de chacun de ces « animaux », de leur « bulle sensorielle », et les conséquences sur les relations entre eux.

Deux aspects complémentaires dans le livre, un constat et les conclusions que nous devrions en tirer.

Voir avec les yeux d’un autre ne s’improvise pas. Il faut abandonner l’idée que le monde se limite à ce que nous pouvons en percevoir, pour s’extraire de sa propre manière de percevoir. Prenez l’odorat, par exemple, et explorer toutes les manières dont il fonctionne chez les animaux, du chien à la fourmi, en passant par le poisson et les oiseaux. L’importance de ce sens dans leur mode de vie, les organes concernés, notamment pour capter l’information, le lien avec le cerveau, c’est tout un univers spécifique qui nous est décrit, qui nous permet de prendre conscience de ce que peut être la perception des autres. Imaginez en plus qu’il existe dans l’univers des sens que nous n’avons pas, comme la capacité de détecter des champs magnétiques. Nos « cinq sens » sont ceux retenus par Aristote, excluant notamment le sens de l’équilibre. L’univers des sens est un champ d’exploration sans limites, où nous trouvons de la chimie, de la physique moléculaire, de la biologie, de la psychologie et bien d’autres disciplines scientifiques. Ed Yong nous présente des expériences passionnantes qui mettent toutes ces spécialités en musique pour appréhender ce que ressentent les animaux. Un vaste tour de l’arche de Noé nous conduit à découvrir l’étendue des sens à l’œuvre dans notre environnement et à sortir de notre bulle sensorielle que nous aurions tendance à croire universelle.

Le deuxième volet de l’ouvrage est de mettre en évidence les dégâts que l’approche anthropocentrée a provoqués. « Nous comprenons mieux que jamais ce que cela fait d'être un autre animal. Mais plus que jamais nous empêchons les autres animaux d'exister ». L’humanité s’en retrouve fragilisée. « À chaque fois qu'un animal disparaît, nous perdons une façon de donner un sens au monde. Nos bulles sensorielles peuvent nous empêcher de savoir ce que nous perdons. Mais elles ne nous protègent pas contre leurs conséquences ». Les exemples sont multiples des dégradations des milieux dont nous n’avons pas pris conscience, comme la pollution lumineuse et le bruit, notamment celui émis dans les océans, plus 32 Décibels depuis le début de la marine à moteur. L’auteur nous invite à préserver et à restaurer les « paysages sensoriels naturels » qui existent encore. Il s’agit de notre patrimoine commun, une source inépuisable d’émerveillement : « Percevoir le monde à travers d’autres sens revient à trouver de la splendeur dans le familier, du sacré dans le monde profane ». Le véritable voyage.

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