« Les parisiens », une obsession française
Anatomie d’un déséquilibre
Olivier Razemon
©Rue de l’échiquier, 2021
La particularité du livre est de traiter la question sous deux angles complémentaires : le ressenti et la réalité. Quelle question ? celle du poids de Paris d’une part dans nos esprits, la culture populaire des parisiens et des « provinciaux », et d’autre part dans le fonctionnement de notre pays, dans ses volets économiques, politiques, sociaux. Une approche vue des deux côtés, Paris et province, mot aujourd’hui fortement connoté et remplacé successivement par « Région » et « Territoires ».
La COVID apporte d’entrée de jeu une vision des relations Paris-Province. L’exode des parisiens, « tribu honnie » lors du premier confinement a été révélateur. Les préjugés habituels sont ressortis avec force. Le mot « parisiens » recouvre d’ailleurs une réalité différenciée. Au-delà des parisiens intra-muros, figurent les habitants des banlieues, vite assimilés aux parisiens, et dans le prolongement les habitants des grandes villes qui ont fuit vers les campagnes pour échapper au virus. Autant d’intrus suspectés, voire coupables, de diffuser la maladie à travers le pays. « La lutte des classes est devenue territoriale ». Olivier Razemon nous livre ainsi une analyse des relations conflictuelles et surtout des représentations réciproques des parisiens et des provinciaux. Un antagonisme qui vient de loin, avec une histoire qui commence à la royauté et se poursuit encore, même après des tentatives de décentralisation.
L’assimilation, fréquente chez les provinciaux, de Paris et de sa banlieue mérite un examen particulier. L’Ile de France est fortement marquée par la capitale, dont les frontières ont varié au cours des siècles, mais elle est très diversifiée et s’est transformée avec l’évolution des moyens de transport. « Siècle après siècle, les distances se sont raccourcies. (…) Et après 1945, l’automobile a totalement bouleversé la géographie parisienne ». L’automobile est ainsi au cœur de la rivalité Paris-Province, et le mouvement des gilets jaunes l’a bien montré : « Le fondement principal de ce mouvement était bien, et c’est une première en France, la défense de l’usage de l’automobile », une automobile que les Parisiens sont supposés vouloir rejeter. La limitation de vitesse à 80km/h, peu avant les gilets jaunes, était perçue comme une affaire de « Parisien déconnecté de la réalité ». Cette défiance à l’égard de Paris « sert aussi à disqualifier toutes les alternatives à la voiture individuelle » qui pourraient être prises dans d’autres villes.
« L’anatomie d’un déséquilibre », pour reprendre le sous-titre du livre, commence par les déséquilibres au sein même de la région parisienne, l’Ile de France. Les déserts médicaux ne sont pas l’apanage des campagnes profondes, il en est aussi à quelques kilomètres de Paris. La région fourmille de trésors culturels, mais, hormis Versailles, c’est toujours Paris qui est mis en vedette. La vie des franciliens comme des parisiens n’est pas toujours agréable, transport et logement y sont notamment des points sensibles, et beaucoup souhaiteraient bien partir en Province où la vie est réputée plus aisée. « Ainsi, l’hypertrophie parisienne et des grandes villes n’est pas seulement un problème de « Parisiens » mais intéresse le pays tout entier ». Une idée répandue dans les cercles dirigeants est que « Paris est une carte maitresse de la France en Europe et dans le monde ». La comparaison avec les pays voisins montre qu’il y a d’autres solutions, mais l’Etat s’obstine à favoriser son champion. « Le déséquilibre est voulu par l’Etat », ce qu’Olivier Razemon n’a guère de difficultés à démontrer à partir de quelques exemples comme le Grand Paris Express et les jeux olympiques de 2024. Pour lui, « il s’agit d’alerter les lecteurs sur les déséquilibres du pays et sur ses innombrables conséquences ». Un déséquilibre qui ne satisfait ni les provinciaux ni les parisiens. Ceux-ci « méritent un autre récit, un nouveau destin. Un destin inséparable de celui du reste du pays ».
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