
Le grand retournement
Comment la géo-ingénierie s’infiltre dans les politiques climatiques
Marine De Guglielmo Weber & Rémi Goyon
Aux Editions Les liens qui libèrent, 2024
C’est l’histoire d’une fuite en avant. Une vieille histoire, qui reprend du service. En fond de décor, le réchauffement climatique, qui exige de prendre des décisions, parfois difficiles. La vielle histoire est celle de Prométhée qui veut être l’égal des dieux, et gouverner la planète à sa guise. La Terre se réchauffe ? Eh bien transformons-la, et protégeons-la des rayons du soleil. Il faut une réponse globale à un problème global. Puisque nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène, l’ère où l’action des humains devient prépondérante, passons d’un « Anthropocène involontaire à un Anthropocène volontaire, apaisé, technologisé ». Voilà donc les humains aux commandes, un rêve de toujours servi aujourd’hui par une technologie avancée, ou qui pourrait l’être. Pour ses promoteurs, « devant l’inadéquation de notre modèle économique avec le système Terre, il est vite apparu préférable de réformer le second plutôt que le premier ». Il s’agit donc de continuer comme avant, de ne rien changer à notre mode de vie, en prenant le contrôle du fonctionnement de la planète. Les « techno-solutionnistes » accusent ainsi les « écologistes politiques » de vouloir changer la société pour conserver la planète, « plutôt que de s’autoriser à la pensée inverse ».
Pour certains, il s’agit de gagner du temps, permettre aux mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre de produire leur effet, mais pour d’autres, c’est LA solution. Dans les deux cas, l’objectif est de gagner du temps avant l’abandon des énergies fossiles, et pourquoi pas, les pérenniser.
Le problème, c’est que les solutions globales s’accompagnent d’une prise de risque globale. Nous serions dans l’ère des apprentis sorciers. La géo-ingénierie revêt des formes diverses. Tantôt, il s’agit de mettre un écran entre le soleil et la Terre, sous forme de particules dans la stratosphère ou en ensemençant les nuages pour les éclaircir ; tantôt ce sont les océans qu’il faudra éclaircir pour qu’ils renvoient une plus grande part des rayons du soleil ; ou encore booster les puits de carbone, les océans encore, ou bien les sols et les forêts. D’une manière générale, « mettre la Terre au travail et en optimiser les cycles ». De nombreux modèles ont tourné sur des ordinateurs, sans dissiper les doutes à la fois sur l’efficacité des « solutions » et sur la maitrise des risques qu’elles représentent pour l’équilibre de la planète. Malgré les réticences de la communauté scientifique, Il y a déjà eu des expériences, comme l’épandage de 100 tonnes de fer dans l’océan au large de la Colombie Britannique, en 2012, sans suite. Et cela fait longtemps que les humains tentent de gérer la pluie et d’éviter la grêle avec des canons. Citons enfin la difficulté de trouver un bon équilibre dans la gouvernance des instruments de la géo-ingénierie. Qui va contrôler le thermostat de la Terre ?
Malgré tous les risques et les impasses techniques de la géo-ingénierie, elle est entrée dans les débats sur le climat comme une possible solution d’urgence, face aux lenteurs de la réduction des émissions de GES. Une aubaine pour les énergies fossiles, qui y voient une opportunité pour prolonger leur activité et même investir dans une transition à rallonge. Les auteurs parlent d’un « verrouillage sociotechnique ». « Les techniques deviennent extrêmement difficiles à déraciner, quand bien même on finirait par réaliser qu'elles sont inefficaces aux mêmes nuisibles ». Nous sommes dans un « processus d’autorenforcement où s’entrelacent des dispositifs sociotechniques, des investissements financiers, des positionnements politiques, des manières de faire juridiques ou simplement culturelles… »
Au total un ouvrage passionnant, aussi bien sur les dimensions techniques de la géo-ingénierie que sur ses aspects politiques et philosophiques. L’histoire d’un « verrouillage cognitif » qui tente de s’imposer dans les négociations climatiques pour se substituer aux mesures qui affecteraient nos modes de vie, lesquelles, vous le savez, ne sont pas négociables.
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