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Durer

Eléments pour la transformation du système productif
Pierre Caye
©Les Belles Lettres 2020



« Pour la première fois depuis Marx, un livre, Durer, propose une approche globale du système productif et décrit les outils nécessaires à sa transformation ». Même si le sous-titre comporte le mot « éléments », les ambitions sont là et s’affichent clairement en page 4 de couverture. Durer, le mot fait référence au développement durable, que certains jugent obsolète, mais ce n’est que parce que « nul n’a entrepris de lui donner un contenu cohérent ni d’en asseoir les principes ».

Pierre Caye propose donc des éléments pour combler cette lacune, et valoriser les bienfaits de la durée. Il se fait l’avocat du mot controversé « Durable » en ce qu’il fait référence au temps, avec ses contradictions qui se manifestent sur le système productif : « Le paradoxe entre d’une part les actions ponctuelles et fugaces du marché et d’autre part la permanence de leurs conséquences, atteste clairement de notre irresponsabilité à l’égard des générations futures ». Le défi est de « construire du temps long à partir du présent sans préjuger du futur », car « il ne nous revient pas de reproduire [les générations futures] à notre image ». Le temps est donc la vedette de l’ouvrage, et il est associé étroitement à la Terre. Nous sommes bien au cœur du développement durable.
Pierre Caye observe que les théories économiques ont négligé un facteur déterminant, la Terre, pour ne retenir que le capital et le travail. Il réintroduit la terre, « instance à la fois naturelle et symbolique », en substituant le patrimoine au capital, et la maintenance au travail. « On gère un capital pour l’accroître, un patrimoine pour le transmettre », empreinte-t-il à Yves Barel (1). « Il s’agit ainsi de donner aux entreprises les moyens juridiques de la patience en les incitant à renoncer aux profits de court terme pour viser une création durable de valeur ». Quant à la maintenance, elle inscrit la production dans la durée, et « participe à la décence et au respect du monde ».
Le « système productif » ne serait pas complet sans référence à la technique. Celle-ci accompagne l’humanité depuis ses origines, une véritable « co-construction », sa fonction étant d’assurer une « enveloppe protectrice » pour traverser les épreuves. Une relation homme-technique qui ne va pas sans dangers. Le chapitre consacré à la ville et à l’architecture permet d’illustrer cette approche, avec le contre-exemple de la « smart city », où ce n’est pas le « smart » qui sert la « city », mais plutôt la city qui permet au smart de trouver de nouveaux développements. « La smart city intègre les fonctions, mais non pas les espaces, de leur côté laissé à eux-mêmes ». Elle néglige « l’esprit de la ville, qui contribue à donner à chaque ville son caractère, son style, son image ».
Le livre se conclut sur la gouvernance et la souveraineté, marquées par la prise en compte du temps. « Là où la société civile gère le temps court et poursuit le profit immédiat, le souverain quel qu’il soit, doit lui permettre de sortir de son immédiateté présente pour la faire accéder au temps long et lui garantir la durée ». « Le développement durable en appelle à la souveraineté non pas sur les hommes mais sur le temps ».
Un ouvrage au carrefour de l’économie, de la philosophie, du droit et de l’organisation administrative, enrichi de nombreuses citations et références. L’entrée Terre + Temps permet de revisiter de nombreux domaines, comme le revenu universel d’existence et la responsabilité sociale des entreprises, ou encore nos normes comptables, la politique agricole, les villes résilientes et la place de l’environnement dans le Gouvernement. Des « éléments » pour lancer un débat et la construction d’une « idée d’œuvre autour de laquelle la société elle-même s’institue et se socialise ». L’incantation « changer de mode de production et de consommation » trouve dans ce livre des pistes pour se concrétiser, il reste à la suivre et à les transformer en actions.

1 - La société du vide, Le Seuil, 1984
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