Les vrais déficits
La cour des comptes alerte le Gouvernement sur les déficits des comptes publics, et l’exhorte à une reprise en main vigoureuse. Il semble, et c’est bien normal, que la restauration desdits comptes publics lui tienne à cœur, mais seulement ceux qui s’expriment en termes financiers. Il en est bien d’autres, qui affectent les grands équilibres du pays, et qui ne sont observés qu’au prisme des euros, dans une perspective comptable annuelle, bien restrictive par rapport à la réalité vécue.
Prenons l’exemple de la qualité de l’air que nous respirons. La pollution nous coûte cher. Il y a les morts, de l’ordre de 50 000 par an, trois fois le nombre de victimes des accidents de la route à son plus haut niveau, bien réduit depuis. Il y a les personnes qui souffrent de maladies diverses, allergies, insuffisance pulmonaire, etc. Le coût des décès évitables se situe entre 76 et 145 Md€ par an, selon les méthodes retenues pour la monétisation de la perte de vie humaine (1). Le Sénat évalue pour sa part le coût total de la pollution atmosphérique, incluant les impacts sanitaires, économiques et environnementaux, à plus de 100 Md€ par an en 2015 (2). Des sommes considérables, qui pourraient être mises en regard, non pas du budget de l’Etat, mais du PIB : 4% environ… Au-delà des déficits budgétaires autorisés au sein de l’Union Européenne en matière monétaire.
Quelles dépenses l’Etat engage-t-il pour lutter contre ce phénomène ? Les moyens budgétaires sont bien minces, près de 400 millions d’euros (en 2018). Et pire, L’Etat a consenti de nombreuses dépenses fiscales à « l’effet négatif » (donc néfastes) sur la qualité de l’air, plus de 5 milliards d’euros (en 2018). D’une main, je lutte contre un phénomène, et de l’autre, j’en fait dix fois plus pour le favoriser. Nous encourageons la pollution de l’air, pour dire les choses simplement. Cet exemple montre l’écart gigantesque entre le coût d’une pollution, supporté par tous les citoyens, et la considération que lui portent les pouvoirs publics. L’effort budgétaire qui permettrait de mieux lutter contre ce fléau serait sans doute un obstacle à la restauration des comptes publics, mais la dépense collective en serait réduite, et avec elle un déficit social. Les « recommandations » proposées par la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2020 sur la pollution atmosphérique (3) apparaissent bien faibles, essentiellement pour l’information du public, quelques restrictions, des dispositifs de surveillance. Bien d’autres phénomènes permettraient d’illustrer la difficulté de réduire les déficits d’ordre sociétal ou social, inégalités, obésité, bruit, mauvaise alimentation, etc. qui, en définitive, coûtent également cher en termes financiers. Coûts directs en santé publique, pertes de jours de travail, pertes de productivité du travail, dégradations de patrimoine, etc.
Sur ce dernier point, la facture pourrait se révéler lourde. Le patrimoine est matériel, comme les monuments historiques, mais aussi humain, comme le niveau de formation de la population, ou encore de son état de santé moyen, et le capital naturel, comme les marais qui régulent les débits dans les rivières, le paysage apprécié des touristes, et le climat, dont la dégradation se manifeste par des manque-à-gagner agricoles, des inondations, le recul du trait de côte, et bien d’autres phénomènes qui nous coûtent très cher dès maintenant.
La restauration des comptes publics, si l’on n’y prend garde, pourrait bien se traduire par une dégradation des finances de la Maison France, tous acteurs compris, publics et privés. Des dégradations supportées différemment par chacun, selon sa situation sociale et professionnelle. Les entreprises d’une certaine taille sont tenues de produire chaque année un rapport « développement durable ». Il permet de faire régulièrement le point sur d’autres aspects de la vie des entreprises que leurs résultats financiers. La qualité de ces rapports dépend largement de la motivation des dirigeants, et un apprentissage de ces nouvelles pratiques permet de les améliorer petit à petit. Il ne serait pas superflu que cette nouvelle culture se propage au sein de l’Etat, et notamment de la Cour des comptes et des fonctionnaires des ministères des finances et des comptes publics.
1 - Olivier Chanel, Évaluation économique des impacts de l’exposition chronique aux particules fines sur la mortalité en France continentale, CNRS, École d’économie d’Aix-Marseille, GREQAM et Institut d’économie politique, Marseille, France, 2017
2 - Sénat, Commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, Juillet 2015.
3 - Cour des comptes - Les politiques de lutte contre la pollution de l’air - juillet 2020
Edito du 15 mars 2023
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