
Capital
Un mot capital. Il représente notre santé comme notre patrimoine, la planète et nos cultures, nos savoir faire. Un mot riche et complexe, souvent prononcé dans un sens restrictif. Dommage, car il offre un champ de réflexion formidable pour le développement durable.
Prenons le mot dans le sens des économistes. Le capital, c’est la planète, nos savoir faire et nos connaissances, notre culture.
C’est avec ce capital aux multiples facettes que nous vivons aujourd’hui et que nous vivrons demain. Plus précisément, c’est avec les revenus de ce capital, car il vaut mieux ne pas entamer le capital lui-même. Le développement durable, c’est vivre de ce revenu, du flux, tout en préservant et même en augmentant le capital, le stock. Rien que de la bonne gestion pour une entreprise, qui distribue des dividendes tandis que sa valeur augmente. Il faut transposer cette sagesse à l’échelle de la planète, et des multiples communautés qui y vivent, nations ou tribus, selon les cas.
De nombreux indicateurs nous disent que ce n’est pas le cas. Nous mangeons notre capital, puisque l’ensemble des consommations humaines dépasse la capacité de renouvellement annuel des richesses produites par la Terre. L’approche connue sous le nom d’empreinte écologique met bien ce phénomène en évidence. Selon le 'Rapport Planète Vivante 2002 du WWF(1), l’empreinte écologique globale de l’humanité a presque doublé au cours des 35 dernières années, et dépasse de 20 % les capacités biologiques de la Terre.
Quelques économistes s’intéressent au développement durable, et l’un d’entre eux, Paul Ekins, professeur à l’Université de Westminter (GB) a proposé dès 1992 une manière originale d’aborder cette question de capital, dans une approche de développement durable(2). Elle a été récemment évoquée pour l’évaluation du fonctionnement des fonds structurels européens(3). L’originalité de la proposition d’Ekins est de distinguer quatre type de capitaux, et non pas un seul comme à l’accoutumée. Au-delà de celui qui sert à produire des biens et des services marchands, qu’il appelle le capital « manufacturé », il décrit le capital « naturel », ressources naturelles au sens large, y compris les écosystèmes et la biodiversité, le capital « humain », Santé, bien-être, éducation, moral des troupes et savoir faire, et enfin le capital « social », qui représente le fonctionnement de la société, réseaux, normes, confiance. On retrouve, sous une forme différente, les trois piliers du développement durable, et la gouvernance, sachant que le capital humain reprend largement ce qu’il est courant d’appeler le volet social du développement durable. Le « capital social » peut alors être vu comme caractérisant la capacité à conjuguer toutes les énergies, à mobiliser les acteurs pour élaborer un projet commun et le faire progresser. Chacun de ces quatre capitaux peut être suivi grâce à des indicateurs, soit concernant le stock, le capital lui-même, soit le flux, c'est-à-dire ce qu’il produit chaque année. L’objectif de cette comptabilité d’un nouveau genre est bien de décrire comment ces capitaux évoluent, ainsi que leur efficacité. Les activités humaines doivent à la fois conforter les stocks tout en tirant le meilleur profit des flux. Dans cette logique, le développement durable consiste en « l'accroissement du bien-être humain sans entraîner une diminution des capitaux par tête(4). De la bonne gestion tout simplement, mais déclinée en quatre angles d’observation différents, et non selon une seule.
Voilà une vision durable du capital !
Revenons un instant sur le capital social, qui correspond à la densité et la qualité des liens sociaux. Il est déterminant, car de lui dépend essentiellement l’usage qui va être fait des autres capitaux, de l’efficacité de leur mobilisation. On mesure le capital social en prenant en compte trois aspects de la vie sociale : la vitalité des structures associatives (nombre d’adhésions et activités), les comportements (participation électorale, loisirs collectifs, etc.) et les attitudes (la confiance dans ses concitoyens et dans les institutions, face à diverses situations). Une équipe américaine, animée par Robert Putnam (Kennedy school of social science – Harvard), montre que le capital social aux Etats-Unis, après une hausse jusqu’au milieu des années 1960, connaît une dégradation accélérée depuis, et qu’à cette dégradation correspond une hausse des indicateurs de décohésion sociale : criminalité, fraude fiscale, échec scolaire, etc. (5) Il est encore trop tôt pour voir si l'élection de Barrack Obama a changé le cours des choses, mais ce serait certainement intéressant à suivre.
Le capital social n’est donc pas un concept théorique, il a des applications tout à fait opérationnelles, et traduit une réalité vécue intensément par chacun d’entre nous. C’est à la fois un élément de notre qualité de vie, et un atout pour valoriser l’ensemble de nos autres capitaux. Encore une forme de double dividende !
(1) Disponible sur le site du WWF : http://www.wwf.fr
(2) A four-capital model of wealth creation, in P. Ekins & M. Max-Neef (eds) Real-life economics : unterstanding wealth creation - London and New-York : Routledge
(3) Paul Ekins et James Medhurst, The European structural funds and sustainable development, in Evaluation, Vol 12, n°4, oct. 2006, Sage Publications, London
(4) Paul Ekins et James Medhurst
(5) On pourra se reporter, pour approfondir cette approche sur le capital social, au rapport de Bernard Perret pour le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, Indicateurs sociaux : état des lieux et perspectives (Les papiers du CERC, n° 2002-01, janvier 2002, disponible sur Internet http://www.cerc.gouv.fr/doctrav/2002-01.pdf). Il y commente notamment l'ouvrage de Robert D. Putman, Bowling alone, the collapse and revival of American community, Touchstone, 2001
Chronique publiée le 22 février 2007, revue le 22 février 2010
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