A propos de forêts et territoires, un vocabulaire commenté
La magie des mots inspire ce blog. Voici une contribution d'un "invité" de ce blog, Yves Poss, grand spécialiste de la forêt, qui reprend ci-dessous l'essence d'une intervention récente que l'on trouvera en version intégrale.
Treize mots liés à la forêt et au territoire ont été commentés lors du séminaire forêt des Parcs naturels régionaux de France et de l’Office national des forêts, le 6 novembre 2013 en Gâtinais ; au moment où la forêt et la filière bois ont été retenus comme une priorité parmi les 34 plans de reconquête pour dessiner la France industrielle de demain, cette présentation décalée visait à susciter le débat, l’échange, entre les experts réunis, pour faire émerger des idées nouvelles. Quelques extraits :
(Outlaw) Mon premier mot sera outlaw. Qui évoque bien sûr Robin des Bois, dans sa forêt de Sherwood. Et donc la difficulté de l’application de la loi, du contrôle des règlements dans les espaces forestiers : les forêts peuvent cacher bien des choses. Mais ce sont aussi des espaces où les propriétaires vont, souvent, rechercher la liberté : l’action publique ne doit pas oublier ce désir des citoyens.
(Territoire) Malgré la tentation des lisières, les forestiers doivent savoir ne pas rester bornés : et ils doivent dépasser la limite, administrative, du « territoire » sur lequel ils travaillent, pour apprécier, selon les sujets, les territoires pertinents.
(Prospective) Cette projection dans le temps est particulièrement fructueuse pour la forêt, car l’état de celle-ci peut être anticipé sur plusieurs décennies.
(Diversité) La France est diversité. Un individu peut porter plusieurs casquettes, et il est imprudent de classer par case, par catégorie, puisqu’il y a chaque fois une personnalité à rencontrer, à toucher. Quelle est la légitimité de chacun dans ses interventions forestières ? Et qui en détermine le bien fondé ?
(Soviet) C’est en Russie que s’est illustrée, avec les soviets, les « conseils », la démarche participative. J’ai observé la césure entre l’affichage convenu d’un discours public, sortant d’une salle de mairie, et la réalité des chantiers négociés dans l’arrière-salle du café d’en face.
(Stratégie) La stratégie, ce n’est pas seulement une collusion de mendiants pour solliciter des financements des collectivités de rang supérieur, région, Etat, Union européenne. C’est surtout diagnostiquer les lourdeurs, les inerties inutiles, soutenir des innovations, accompagner le progrès.
(Motivation) Parmi les populations dont dépend un territoire, sachons distinguer les professionnels des amateurs. Pour que ces amateurs ne se réfugient pas dans l’abstention, et parce que la sylviculture est, de fait, un métier, la voie ne serait-elle pas de les persuader, de les convaincre de prescrire, de faire faire, et non pas de chercher à leur apporter le savoir-faire ?
(Dynamique) L’équilibre de la forêt est celui du cycliste : il n’est que mouvement.
(Nature) La forêt, les forêts restent, dans notre imaginaire collectif, le refuge de la « Nature ». Alors que la « wilderness » n’existe plus guère en métropole, où l’empreinte humaine est partout sensible. Il n’y a plus d’espaces préservés, et ceux que la mise en réserve met à l’écart d’une gestion réfléchie sont, de fait, abandonnés à la face obscure de la force anthropique, elles sont le refuge de Dark Vador.
(Futaie irrégulière) Cette sylviculture appelle une compétence affirmée, et nécessite d’y consacrer du temps. Cela peut-il justifier l’engouement qu’elle rencontre auprès de gestionnaires, qui seraient directement intéressés ?
(Bois lié) Il a été noté que près des deux tiers du bois pour l’énergie ou l’industrie était de fait « lié » à la récolte de bois d’œuvre : les houppiers ne sont collectés qu’une fois que le tronc est coupé.
(Mobilisation) L’exploitation a une double finalité, de récolte de grumes et rondins, mais aussi de sylviculture, pour l’entretien ou le renouvellement du peuplement. Sans oublier, et de plus en plus, l’exigence de soin apporté au bon état du parterre de coupe, que ce soit pour la biodiversité qui le recouvre, ou pour le sol lui-même.
(Changement) Ne devient-il pas opportun, au niveau de nos territoires, de corriger l’organisation professionnelle, le partage des rôles et du pouvoir, la répartition de la rente forestière ?
Ah ! Si chacun, noble naturellement et délié autant qu’il le peut, soulevait la sienne montagne en mettant en péril son bien et ses entrailles, alors passerait à nouveau l’homme terrestre, l’homme qui va, le garant qui élargit, les meilleurs semant le prodige.( René Char, Recherche de la base au sommet, IV. À une sérénité crispée)
Yves Poss
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