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Le temps de la peur

Le sentiment de peur a toujours été présent, mais il semble bien qu'il connaisse une hausse régulière dans nos sociétés depuis quelques années. La peur est une « réalité multiforme » comme le dit un expert en la matière, Dominique Moïsi, dans son livre « La géopolitique de l'émotion » (Flammarion). « Peur de l'autre, […] du terrorisme, […] de la précarité économique, […] des catastrophes naturelles […]. Peur du futur, incertain, menaçant et sur lequel les êtres humains semblent avoir peu - ou pas - de prise ». La peur est devenue la « couleur dominante » de l'Europe, nous dit-il dans son livre publié en 2008, et il semble bien que cette couleur soit encore plus sombre aujourd'hui. Les écologistes y ont apporté leur contribution. A juste titre, bien sûr, devant la montée des dangers provoqués par les agressions multiples dont l'environnement et l'objet. L'éco-anxiété se développe notamment chez les jeunes qui craignent légitimement pour leur avenir.

Le contexte géopolitique actuel renforce cette peur de l'avenir. Le fond de décor est décrit par Dominique Moïsi : « Pour la première fois en plus de deux siècles, L'Occident ne donne plus le la ». Une situation qui réveille le spectre du déclassement, du déclin, ce qui n'arrange rien.

Face à cette situation le discours que nos dirigeants successifs est constant. « Il faut protéger les Français ». Exactement ce qu'il faut pour accentuer le phénomène. Si l’État doit nous protéger, c'est bien que nous sommes menacés. Voilà donc le spirale qui s'engage, qui plombe le moral de la population au moment où au contraire, il faudrait la mobiliser. Une culture de la peur s'installe qui va déterminer nos comportements. Elle peut être salutaire et provoquer des réactions salvatrices, mais elle devient dangereuse quand elle est excessive. La peur est la marque d'une perte d'assurance, d'une absence de confiance, d'un manque de foi dans ses propres capacités. Tout le contraire de ce dont nous avons besoin pour affronter les bouleversements géopolitiques et les transitions à l’œuvre aujourd’hui.

Celles-ci sont variées (écologique, démographique, numérique, technologique, etc.) et se combinent entre elles. Elles nous inquiètent et nous sortent de notre zone de confort. L'ancien monde n'est plus, avec la place dominante de l'Occident dans le monde, qui lui permettait d'accaparer l'essentiel des richesses produites par la planète. Il faut trouver notre place dans le nouveau monde qui se crée, et pour cela faire appel à notre génie propre, notre créativité. La position géographique de la France à l'extrémité du continent indo-européen, nous a permis de bénéficier d'un foisonnement extraordinaire. Au contact à la fois du continent et de l’océan, de la Méditerranée et de la mer du Nord, un climat tempéré humide, un peuplement qui nous a permis, au cours des siècles, de profiter d’une diversité d’apports dont nous sommes les héritiers. Des atouts exceptionnels pour cette recherche d’un nouveau positionnement dans le monde.

La peur provoque des réactions très diverses. Quand le danger est là, bien visible, et qu’il nous affecte directement, ce peut être la fuite ou la résignation, ou au contraire la résistance et le sursaut. Quand il est progressif, diffus, et qu’il résulte d’observations d’experts, non immédiatement perceptible, il peut aussi provoquer le déni et le repli. « Nous ne croyons pas ce que nous savons » nous dit Jean-Pierre Dupuy (Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002). Les forces conservatrices, qui voudraient faire durer l’ancien monde, ont beau jeu de susciter ces réflexes de rejet. La peur paralyse, en ne permet pas de mobiliser les ressources que nous avons pour surmonter les obstacles.

La montée du négationnisme climatique est une illustration bien réelle de ce phénomène, qui doit nous inciter à abandonner résolument le levier de la peur pour obtenir les changements de comportements et de modèles culturels nécessaires pour mener à bien les transitions. La peur a toujours été l’instrument des régimes autoritaires et des mafias qui voulaient enfermer la société dans leur système totalitaire, elle n’est pas le bon moteur pour mobiliser la créativité et l’imagination.

C’est une culture du risque qu’il nous faut cultiver pour explorer des futurs inédits. Une culture qui ne fait pas bon ménage avec l’Etat protecteur, pour peu que celui-ci étende sa protection à l’ensemble de la société. Le « protecteur » devient ainsi un « parrain ». Une bonne manière d’exercer son contrôle, au lieu de mettre la société en situation d’innovation, dans toutes ses composantes.

Edito du 20 mars 2024

 

Réveillez-vous !

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