Le poids du passé
En matière d’aménagement, le « déjà là » est incontournable, et doit être intégré dans les transformations aujourd’hui nécessaires. Le passé est un capital à valoriser. Il en est autrement des politiques de développement humain, où il faut savoir abandonner des certitudes et des comportements pour s’adapter à une nouvelle donne, surtout si celle-ci est prévisible. Prenons un domaine qui exige une reconversion dans les esprits, et qui commence à se faire une place dans le débat public : la démographie. Elle fait partie des phénomènes qui s’imposent dans la durée, avec une force extraordinaire, et sur lesquels nous avons peu de prise. D’autres phénomènes auraient pu être pris en exemple, comme le réchauffement climatique, l’irruption du numérique, l’émergence dans le monde de nouvelles forces politiques et économiques ou encore la raréfaction de certaines ressources.
La démographie. Deux volets qui vont se rencontrer, le vieillissement de la population et les migrations. A moins que nous acceptions que la population mondiale croisse sans limite, il faut accepter qu’elle se stabilise, et cette stabilisation entraîne mécaniquement un vieillissement. Il est possible de le retarder, un peu, par des mesures natalistes, le « réarmement démographique », mais ce n’est que reculer pour mieux sauter, et transmettre la difficulté à nos enfants. Un cadeau dont ils se passeraient bien. Il faut nous y résoudre, nos populations ont vieilli et vont continuer à vieillir. Et nous le savons depuis toujours (1).
Le premier effet visible concerne les retraites. Comment les financer ? Il y a aussi la dépendance et le coût de la santé dans une population vieillie. Il y a bien d’autres effets, que nous découvrons progressivement. Nos règles de construction, par exemple, doivent s’adapter à une population moins vaillante et plus exigeante. Les effets sont aussi, et c’est sans doute le point le plus important, d’ordre culturel ou sociétal. Une population de vieux est moins entreprenante, moins apte à l’innovation. La question du vieillissement ne se règlera pas par un ensemble hétéroclite de mesures sectorielles, comme de décalage de l’âge du départ à la retraite, une politique familiale ou des ajustements des politiques de santé publique. Elle mérite une réflexion plus générale sur la place des vieux dans nos sociétés. Il y a quelques dizaines d’années, la retraite avait pour but de permettre une fin de vie sereine à l’issue d’une vie de travail. Quelques années. Aujourd’hui, la retraite est devenue une phase de la vie à part entière, aussi longue que la jeunesse. Les « vieux » vont représenter un quart de la société, même en poussant régulièrement le curseur de l’âge de la retraite. Comment imaginer que nous puissions laisser en friche un tel capital humain ? De nombreux retraités contribuent, d’ailleurs, à la richesse du pays, au sein de l’économie marchande ou en marge, en appui à leur enfants ou parents très âgés, ou encore en donnant leur temps et leur énergie à des actions collectives, dans les municipalités et les associations. L’avenir n’est donc pas dans une mesure mécanique sur les retraites, mais dans la recherche de la meilleure manière de donner aux vieux une place où ils puissent apporter leur expérience et exercer leurs talents, tout en respectant les contraintes de l’âge. Les vieux peuvent constituer une charge, ils sont aussi porteurs de ressources, souvent oubliées, mais qui ne demandent qu’à s’exprimer pour peu qu’elles soient reconnues. Avec un double dividende, d’une part faire profiter la collectivité des apports des vieux, et d’autre part de leur assurer une vie sociale intense le plus longtemps possible.
Les flux migratoires sont aussi une manière de lisser le vieillissement de la population. Des flux largement prévisibles, et aussi inéluctables dans le monde en ébullition. Faut-il monter des murs, et considérer ceux qui les contourneront comme des intrus, ou bien s’organiser pour intégrer vraiment cette jeunesse ? Ne croyions pas que les migrations soient un phénomène passager, qui ne durera pas. Les troubles que le monde connait continueront longtemps à produire du malheur et du désespoir, premiers moteurs des migrations. Le réchauffement climatique mettra aussi en mouvement des millions de personnes. Nos cultures vont en être affectées, surtout si nous choisissons une position défensive, de méfiance vis-à-vis des nouveaux arrivants.
Ne nous trompons pas de futur, libérons-nous du poids du passé. Au lieu de lutter contre des phénomènes inéluctables, cherchons à en tirer profit. Ce sera un exercice difficile, sans garantie de succès, et qui demande de prendre du recul par rapport à nos habitudes et de nos modes de penser. L’avenir est aux « sociétés apprenantes », comme le recommande le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz.
- Voir notamment mon article publié dans Le Monde du 26 juillet 1978 « Un vieillissement inéluctable »
Edito du 25 septembre
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