Des pénalités de retard qui coutent très cher
Il y a des décisions difficiles à prendre. La tentation est forte, alors, de les différer, de gagner du temps. Est-ce bien raisonnable ?
Pour la crise de la COVID, le temps perdu s’est traduit en vies humaines. Nous le savons aujourd'hui grâce à des études rétrospectives. Les mesures prises, confinement, vaccination, se révèlent efficaces. Elles nous ont permis d’éviter de nombreux décès. Nous ne pouvions pas le savoir à l'époque, avec toutes les interrogations que nous avions sur la COVID, mais le retard pris pour engager le confinement a été payé chèrement. Décidé une semaine plus tôt, il aurait permis de sauver 20 000 vies humaines.
Le changement climatique est d'une autre nature et gardons-nous d’une transposition trop rapide des enseignements de la crise sanitaire. Le climat était un sujet de recherche scientifique depuis des années, il fait l'objet de nombreuses publications qui nous alertent sur ses dangers et son avancement dans le temps. Nombreux sont ceux qui jugeaient ces prévisions alarmistes, mais aujourd'hui nous savons qu’elles étaient plutôt optimistes. Le réchauffement progresse plus vite que prévu.
Cette observation n'empêche pas de nombreux lobbys de chercher à retarder les mesures nécessaires pour freiner le réchauffement. La récente crise agricole (20% de l’effet de serre en France) en est une manifestation spectaculaire, et nous voyons clairement aujourd'hui le désengagement européen dans son ambition climatique. D'un côté, donc, une urgence qui se précise, et de l'autre, une opposition aux mesures à prendre qui se renforce. C'est le phénomène du refus de l'obstacle. Le principe en est accepté du bout des lèvres quand il est loin, mais il est rejeté dès qu’il se transforme en mesures concrètes. Nous ne sommes pas prêts, c’est irréaliste, hors-sol, nous faisons déjà le maximum, vous connaissez les arguments, « encore un instant, Monsieur le bourreau ». Comme si le délai demandé allait atténuer la sévérité de l’épreuve. A l’inverse, les pénalités de retard seront lourdes.
L'image de la transition, l'idée que l'opinion en colporte implicitement, est largement responsable de cette situation. Trop chère, compliquée, elle implique souvent des changements de techniques, donc de compétences. C’est une épreuve, comme toutes les innovations, et la promesse des bénéfices qu’elle apportera n’est pas entendue. L’environnement est réputé couter cher, c’est une idée bien incrustée, et curieusement confortée par les écologistes et la plupart des commentateurs qui parlent plus du coût de la transition que de celui du statu quo, du ne rien faire. Le côté moralisateur du discours écologiste confirme que c’est un sacrifice.
L’observation des entreprises qui se sont engagées nous dit l’inverse, elles y trouvent leur compte, mais ce peut effectivement ne pas être le cas pour celles qui l’ont fait sous la contrainte et à reculons. C’est l’état d’esprit qui accompagne la transition dans une entreprise qui en fera ou non le succès, et non un délai supplémentaire, avec l’espoir vain d’y échapper.
Les changements ne sont pas attendus uniquement des entreprises. Les particuliers, consommateurs, citoyens, devront aussi changer leurs habitudes. Alimentation, santé, habitat, mobilité, loisirs, c’est la vie quotidienne qui est affectée. Le climat n’est plus un concept général, mélangé avec la météo, le voilà qui s’invite chez vous très concrètement, et parfois financièrement. L’environnement vous semblera cher, si vous décidez de vivre comme avant, mais il vous fera faire des économies si acceptez de changer. Prix unitaires plus élevés pour l’alimentation, en partie au profit des agriculteurs, mais budget inchangé si vous acceptez de manger moins de viande. Voitures plus chères, mais possibilités de les partager, de ne les payer que quand vous en avez besoin. Travaux d’isolation pour votre logement, mais plus de confort et moins de charges. Le développement durable se manifeste partout sous la forme de changements de pratiques, et non de privations comme certains le prétendent. Des changements qui sont autant d’occasion de reprendre la main sur nos modes de vie, de les améliorer ici et là, et de développer ses talents personnels, au jardin, au bricolage, ou autre domaine où vous excellez. Le changement, c’est sympa !
Ajoutons que l’apprentissage de ces nouvelles pratiques nécessite un accompagnement, une organisation, qui doivent être assurés par les autorités locales, avec les entreprises locales, et que c’est l’ensemble de la société qui « transite », et pas vous isolément, avec la peur de s’y sentir bien seul.
Vous l’aurez compris, le changement s’imposera d’une manière ou d’une autre, pour les entreprises et les particuliers, mais il sera ce que vous en ferez, ce qui sera d’autant plus facile qu’il sera l’affaire de tous. Le retarder, voire le bloquer pour protéger des intérêts risque fort de se révéler une victoire à la Pyrrhus, dont le coût sera insupportable même si la facture vous est présentée plus tard.
Edito du 14 février 2024
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