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Ça commence à bien faire

La meilleure manière de renflouer les finances publiques serait donc de travailler plus longtemps. Notre déficit est la faute des Français, qui ne travaillent pas assez. Comme si le temps de travail était la seule variable pour caractériser notre production nationale. Et non seulement nous travaillons moins que les autres, avec lesquels nous sommes en concurrence, mais notre productivité progresse moins vite. Maudits Français ! diraient les Québécois. Le procès est vite instruit, la réquisition tombe : 7 heures de travail en plus, non payées évidemment.

Il suffirait donc de travailler plus pour produire plus, pour paraphraser une formule célèbre mais trompeuse. La tromperie continue. Ça commence à bien faire.

Prenons du recul, nous travaillons bien moins que nos aïeux, mais nous produisons beaucoup plus. Il n’y a donc pas que le temps de travail qui entre en ligne de compte. Il y a bien d’autres paramètres pour décrire notre capacité à produire, et ils ressortissent pour la plupart aux dirigeants d’entreprises et à la puissance publique.

Notre productivité dépend essentiellement de l’état de nos techniques, des investissements en matériel et, tout aussi important, en recherche et développement, sans oublier les compétences des personnels à tous les niveaux. Dans tous ces domaines, nos efforts sont inférieurs à ceux de nos concurrents, et expliquent le décrochage, tel que décrit notamment par Mario Draghi. Le temps de travail est lui-même un paramètre complexe, puisqu’il contient une part d’investissement en formation professionnelle. Un détournement du temps de travail effectif pour parvenir à produire plus.

La productivité dépend de nombreux facteurs, au-delà de la compétence. Il y a la qualité du management, le degré de mobilisation des personnels et leur attachement à l’entreprise. Il y a les conditions de travail, l’ambiance dans le bureau ou l’atelier. Arriver le matin à son poste la boule au ventre et le moral en berne n’est pas propre à booster la productivité. La montée de l’absentéisme observée récemment est notamment un indicateur du « mal vivre » au travail, qui devrait conduire à un examen des conditions de vie au travail, au lieu d’une charge contre les absents.

Ces conditions de travail intègrent le parcours domicile-travail. Une heure aller et une heure retour dans des trains bondés et souvent bruyants pèsent aussi sur le moral et la fatigue, et l’allongement de la durée de travail n’y changera rien. C’est ailleurs qu’il faut chercher des améliorations.

Et puis il y a la nature même du travail, la fierté qu’elle doit procurer à la personne qui l’exécute. L’amour du travail bien fait, confronté parfois à la pression pour en faire toujours plus et toujours plus vite, et le sens du travail, le sentiment d’être utile, de participer au progrès de la société. La quête de sens est devenue un critère important dans la recherche d’un emploi. Sans oublier que le travail dans les secteurs à haute valeur ajoutée est comptablement plus productif, indépendamment de sa durée.
Bien sûr, il y a les « passagers clandestins », qui profitent du système sans en payer le prix. Ils sont d’autant plus nombreux que le travail leur apparait aliénant, sans intérêt et source de stress. On peut les prendre en chasse et les contraindre à rentrer dans le rang, mais ce n’est pas la meilleure manière de les motiver. Sur ce point, le salaire est un paramètre important, mais ce n’est pas le seul. La qualité de l’emploi, dans toutes les dimensions évoquées plus haut, est aussi déterminante. Le mouvement de refus du travail, Antiwork, en est une manifestation. Il traduit un rejet non pas du travail lui-même mais du monde du travail. C’est là qu’il y a des progrès à faire pour donner envie de travailler et faire que le temps de travail ne soit plus un temps « off », étranger à la vie réelle, mais qu’il devienne un élément de satisfaction personnelle, participant à la qualité de la vie.

C’est plus compliqué que de décréter une peine de 7 heures de travail non rémunéré sans rien changer aux conditions de travail ou à sa nature, mais c’est la voie à suivre pour faire rebondir notre économie engluée dans les pratiques du passé. C’est ça le développement durable.

Edito du 27 novembre 2024

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