Skip to main content

Les délices de l’inaction

Qu’il est doux de ne rien faire ! En cette veille de départ en vacances, il serait cruel de montrer les travers de l’inaction, attendue de beaucoup comme un moment de détente et de récupération. Il faut assurément respecter nos rythmes biologiques, et il arrive que l’inaction soit une bonne chose, qu’elle soit nécessaire. Le sommeil, par exemple, qui semble être le summum de l’inaction, est une phase essentielle de notre cycle de vie au quotidien.

En matière d’environnement, il y a aussi des circonstances où ne rien faire est le mieux, notamment dans les forêts primaires ou des sites fragiles. Mais la dégradation de nombreux équilibres planétaires nous conduit, au contraire, à intervenir vigoureusement. L’inaction est interdite. Il arrive même qu’elle soit portée vers les tribunaux.
L’inaction n’est pas le contraire de l’action, comme il serait tentant de le croire. Une différence de nature les sépare : l’action se décide, l’inaction ne se décide pas, elle se constate. La décision est, en matière publique, un parcours d’obstacles. Les pouvoirs publics doivent suivre des procédures pour fixer un cadre, et les acteurs de terrain les utilisent à leur manière. Une chaine de décideurs partiels, qui ne donne pas forcément les décisions attendues. Les autorités ont malgré tout un rôle dans ce parcours d’obstacles : elles peuvent l’aménager pour faciliter la prise de décision. Mais attention, les nombreuses lois dites de simplification ont souvent eu un résultat opposé à leur objectif. En voulant substituer un système à un autre, elles ont rajouté une couche à un dispositif sans parvenir à supprimer celles qui précèdent. La récente loi d’accélération des énergies renouvelables laisse croire que cette fatalité se prolonge, si l’on en croit de nombreux acteurs de la filière. Attendons de voir son effet pour porter un jugement. C’est qu’il y a de nombreux paramètres à intégrer, et souvent autant d’acteurs à mettre d’accord. Les effets secondaires d’une décision peuvent être redoutables, et il convient d’apaiser les craintes qu’elle pourrait susciter. La décision est à ce prix. Un prix parfois surévalué par les opposants à la décision, ce qui provoque inévitablement des retards, des expertises contradictoires, des hésitations.

C’est ainsi que nous prenons un retard sur les actions de lutte contre le réchauffement climatique, ou d’adaptation à ses effets. Dans son dernier rapport le Haut conseil pour le climat (HCC) observe que « les transformations structurelles n’avancent pas au rythme attendu », alors que nous somme déjà en retard par rapport à la trajectoire retenue pour 2030.

Ne rien faire consiste notamment à faire durer des actions ou des aides défavorables pour le climat. Dans le projet de budget les dépenses défavorables progressent tandis que les favorables régressent. Tout faux. Du côté des productions industrielles, qui évoluent chaque année, les contre-performances sont courantes. Par exemple, le poids des voitures, donc leur consommation d’énergie, ne fait que croitre. Il est passé de 800kg en moyenne en 1960 à 1250 aujourd’hui. Le choix de maintenir une vitesse maximum beaucoup plus élevée que celle autorisée conduit à renforcer tous les systèmes de sécurité, et par suite le poids des voitures, en pure perte. Et puis, tandis que le HCC rappelle la nécessité de réduire notre consommation de viande, j’entends à la radio une publicité qui nous rappelle que le bœuf, « c’est si bon »…

Une autre manière de prendre des mesures structurelles est de profiter des changements qui s’annoncent « naturellement ». L’agriculture est le deuxième poste d’émission de gaz à effet de serre en France. Près de 20%, pour 2% du PIB, une bien piètre performance. Il se trouve, que pyramide des âges oblige, une bonne part des chefs d’exploitation vont partir à la retraite au cours des prochaines années. Voilà une occasion rêvée de changer en profondeur les techniques et les choix de production. Nouveaux agriculteurs, nouvelle agriculture. Il semble bien que ce soit l’inverse qui se passe. Les exploitations qui disparaissent sont reprises par leurs voisins, qui agrandissent ainsi les leurs. Résultat : Plus d’engins plus puissants et plus lourds, disparition des haies entre les parcelles regroupées, bref poursuite des phénomènes de concentration qui ont conduit à la situation actuelle.

Que le changement est difficile, qu’il est difficile de ne pas faire « comme avant » ! Moderniser, dans des périodes de « grande transformation », oblige à changer de ligne directrice, à remettre en question les principes d’action adoptés dans un contexte bien différent, celui de l’après-guerre bien souvent. Le « plus » était la règle, aujourd’hui, c’est le « mieux », et ça change tout. L’action commence dans les esprits. Les repères acquis dès l’enfance sont devenus obsolètes, et nous avons souvent du mal à l’admettre, et à en rechercher de nouveaux. L’économiste Keynes, qui a joué un rôle essentiel pour sortir de la grande crise des années 1930, disait que « le plus difficile n’est pas d’adhérer aux idées nouvelles, mais de s’affranchir des anciennes ». La première action, la mère des batailles, est sans doute de retrouver une liberté de pensée.

Edito du 5 juillet 2023

  • Vues: 178

Au-delà du PIB

Les prévisions de croissance pour 2023 semblent bien ternes, ce qui inquiète les économistes. Doit-on s’en inquiéter dans une perspective de développement durable ?
La question préliminaire est croissance de quoi ? S’il s’agit de l’objectif profond des politiques économiques, ce doit être le bien-être. Mais il y a souvent confusion entre production et bien-être, la première est-elle un bon indicateur du second ?
Dans les discours les plus courants, le mot croissance est associé à un autre, sous-entendu, production. Il s’agit en fait du PIB, produit intérieur brut, indicateur vedette de la santé économique d’un pays. Un indicateur contesté, pour plusieurs raisons. Il additionne le bon et le mauvais (les accidents de la route le font grimper, par exemple), il n’est pas représentatif du bien-être : Ce n’est pas parce que le PIB est multiplié par deux au cours d’une période que les populations vivent deux fois mieux. Les économistes se sont attelés à la tâche pour en trouver un meilleur, des commissions ont été créées à cet effet, avec des prix Nobel d’économie notamment, d’autres indicateurs ont été proposés, tels que l’IDH (Indice de développement humain) ou le HPI (Happy Planet Index), rien n’y a fait, le PIB résiste.
Dans un esprit « développement durable », nous sommes amenés à partir de la satisfaction des besoins. Besoins du présent et besoins des générations futures. Des besoins et des envies pourrait-on dire, les secondes pouvant rapidement devenir des besoins. Le bon indicateur de croissance nous renseignerait alors sur la capacité à répondre à ces besoins, et sur la satisfaction ressentie. Nous retrouvons là le sens du sous-titre du rapport au Club De Rome Facteur 4 ( ), « deux fois plus de bien-être, en consommant deux fois moins de ressources ». Mais comment réduire à un seul chiffre la complexité d’une telle approche, intégrant le présent et le futur, la diversité des perceptions du bien-être, le sort des plus démunis, et bien d’autres paramètres encore ? D’autant que la perception, le ressenti, sont par nature fluctuants dans le temps et selon les groupes sociaux. Nous avons donc retenu le PIB plutôt que le BNB, bonheur national brut, qui n’est en vigueur qu’au Bouthan.
Le PIB résiste parce qu’il est infiniment plus simple à calculer que le BNB, qu’il s’appuie sur des données réputées objectives, et collectées régulièrement pour de multiples raisons, notamment fiscales. C’est aussi du fait du lien entre volume d’activité et emploi. Un lien grossier, il y a de la croissance sans création d’emploi, et de la création d’emploi sans croissance, mais un lien quand même, qui suffit à motiver les dirigeants politiques toujours sensibles à la question du chômage. Créer de l’emploi est une préoccupation majeure, qui pousse parfois à des mesures contestables illustrées par les aventures du sapeur Camember, l’emploi pour lui-même, et non pas pour répondre aux besoins de la société. Produire pour produire, et l’emploi pour l’emploi, mêmes dérives, qui éloignent la réflexion des objectifs de bien-être. A l’inverse, la recherche de sens, pour les activités, pour le travail de chacun, dont nous sentons aujourd’hui monter l’exigence, nous renvoie à une approche durable. Mais le PIB suit son chemin sans souci de là où il nous conduit.
Une des vertus du PIB est de servir de référence pour voir où passe notre argent. Il en été question lors du débat sur les retraites, quelle part du PIB pour assurer lesdites retraites ? Quelle part de notre richesse nationale la société accepte-t-elle de consacrer aux anciens ? D’autres questions du même type pourraient être posées, quelle part pour la santé, quelle part pour l’éducation, pour la recherche, pour l’investissement, etc. Le PIB devient ainsi un instrument d’analyse propre à orienter nos choix. La décision de doubler le budget de la Défense, en passant de 2 à 4% du PIB conduit à réduire la part d’autres secteurs, pour prendre une illustration dans l’actualité..
A l’inverse, le PIB ne représente que la moitié environ de notre activité réelle. La production domestique, les échanges non monétaires, lui échappent, alors qu’elles contribuent pour une bonne part à notre qualité de vie. La croissance mesurée à l’aune du PIB semble l’ignorer, alors qu’une réponse à la stagnation pourrait se trouver dans cet autre univers. La résilience de la société, sa capacité à s’adapter à des situations inédites, sont directement attachées à cette économie informelle. L’entr’aide entre voisins ou interfamiliale, le jardin potager, le prêt de matériels divers, et bien d’autres pratiques courantes sont source de bien-être, que le PIB ignore, et qu’il convient de préserver.

Edito du 28 juin 2023

  • Vues: 143

Une artificialisation positive

Le ZAN, zéro artificialisation nette, est actuellement l’objet de mises au point. Après la loi « climat et résilience », inspirée sur ce point de la convention citoyenne sur le climat, des décrets ont été publiés, remis en cause depuis et en attente d’aménagements en cours de finalisation. L’affaire du ZAN est un bon cas d’école pour distinguer les différentes manières de concevoir l’environnement.

Au-delà de ces efforts de règlementation, revenons sur l’objectif, qui est de sauvegarder la biodiversité et de favoriser la vitalité des centres urbains. Qui peut y être opposé ? OK sur l’intention, mais revenons sur la méthode. Il ne sera plus possible, à terme, après une période de transition, d’artificialiser des sols en pleine terre. Le sous-entendu est, vous l’aurez compris, que toute artificialisation est mauvaise pour l’environnement, et qu’il faut la réduire voire de l’interdire.

Le malentendu avait déjà été créé avec la notion d’étude d’impact, loi de 1976 en France. Il s’agissait de subordonner une décision d’aménagement à une analyse de son impact prévisionnel sur l’environnement. Les expériences passées avaient montré les dégâts d’une opération menée sans égards pour l’environnement, et il fallait tenter d’intégrer aux futurs projets les préoccupations d’environnement. L’impact ainsi perçu, hérité des anciennes pratiques, ne pouvait qu’être mauvais. Nous sommes passés par la suite à une approche plus équilibrée, avec des concepts tels que l’écoconception, qui consiste à chercher des impacts favorables, des co-bénéfices, au lieu de se limiter à réduire les impacts défavorables.

Aujourd’hui, zéro artificialisation nous renvoie à l’approche ancienne, du moins dans l’esprit. L’artificialisation serait a priori négative. Y aurait-il une autre manière de faire pour atteindre les objectifs mentionnés plus haut ? Passer d’une démarche défensive à une démarche offensive, puisque chacun sait que la meilleure défense, c’est l’attaque. L’artificialisation peut-elle être positive ? Ce changement de posture aurait notamment l’avantage de donner de l’environnement une image elle-même positive, aller de l’avant, au lieu de prêter le flanc à la critique courante d’immobilisme ou de retour en arrière. L‘esprit d’entreprise serait alors mobilisable au profit de l’environnement. Aujourd’hui, nombreux sont les « entrepreneurs » qui voit dans l’environnement des freins à leur créativité plutôt qu’un moteur. Faire de l’environnement un défi à relever serait plus porteur que sa perception actuelle, trop de règlements, trop d’entraves, même si cette image est caricaturale.

Prenons l’exemple de l’agriculture, qui a su éviter d’entrer dans le cadre de la loi. Voilà une activité fondée sur l’artificialisation, qui compacte les sols sous de puissants engins, qui élimine les obstacles naturels à la circulation desdits engins, qui perturbe les équilibres biologiques à l’aide de produits chimiques, qui sélectionne les espèces animales et végétales et spécialise les sols, etc. L’artificialisation positive serait l’agroécologie, dont le principe est de produire en accompagnant les processus naturels, plutôt qu’en les combattant. Le même raisonnement peut se tenir pour l’urbanisation et de nombreux aménagements. Une ZAC bio, c’est possible, qui respecte le régime des eaux et les zones d’intérêt écologique sur la parcelle, protégée des vents d’hiver, et ombragée l’été, à portée de vélo (ou mieux, de marche) du centre bourg et des commerces, avec des logements performants, des espaces ouverts accueillants, voire des jardins familiaux, etc. Le génie écologique au service de l’artificialisation.

Au lieu de zéro artificialisation nette, nous aurions préféré « uniquement artificialisation positive » ou toute formule équivalente : l’orientation aurait été donnée, avec le défi à relever par les acteurs locaux, élus et professionnels. L’adjectif « nette » vient heureusement tempérer la rigueur du zéro. Il y a donc un bilan, avec du plus et du moins, ce qui revient à accepter l’idée qu’il peut y avoir du positif. Tout espoir n’est pas perdu, mais il va falloir remonter le handicap de l’annonce « zéro », qui provoque de nombreuses réactions de rejet, notamment chez les élus. Faisons du positif la règle, ce sera bien plus encourageant que de le confiner à un rôle marginal de récupération.

L’environnement offensif, qui procure du plaisir et de la fierté, plutôt que l’environnement défensif, fatalement mal vécu et sans perspective.

Edito du 21 juin 2023

  • Vues: 178

Au-delà des déserts médicaux

Bien sûr, la baisse du nombre de médecins affecte plus particulièrement les territoires où ils étaient déjà peu nombreux, les campagnes et les banlieues. Les déserts médicaux ne sont pas une surprise, c’est un phénomène connu depuis des lustres, conséquence inéluctable du numerus clausus instauré en 1971, sous la pression des médecins libéraux et avec la bénédiction du ministère du budget. Le nombre de médecins, leurs spécialités, leur répartition sur le territoire, leur pyramide des âges, tout est connu, avec leurs effets dans la durée. Un phénomène à forte inertie et parfaitement prévisible qui n’a manifestement pas été pris en compte. Pas très « durable », assurément.

Un phénomène analogue se produit dans nos campagnes, le vieillissement du monde agricole. Le renouvellement sera douloureux, mais certains s’en réjouissent, ça fera de plus grandes exploitations pour ceux qui restent. Rien de tel du côté des médecins, il semble impossible d’accroitre leur patientèle, leurs cabinets sont déjà saturés. Des mesures d’urgence, d’incitation ou de coercition, sont évoquées pour palier la pénurie. Réponse bien modeste, une meilleure répartition des médecins sur le territoire n’en augmentera pas le nombre. Il faudra attendre 1930 pour que la suppression du numérus clausus ait des effets visibles. Entre temps, le recours à l’immigration et la recherche de nouvelles pratiques médicales, notamment la téléconsultation, apporteront quelques soulagements, bien partiels.

La question des déserts médicaux ne doit pas être isolée du contexte plus large de l’évolution du monde rural. Si les médecins rechignent à s’installer dans les campagnes, c’est notamment parce qu’ils estiment que la qualité de la vie, pour eux-mêmes et leurs familles, n’y est pas à la hauteur de leurs espérances ou de leurs envies. Il n’y a pas que les médecins qui manquent, beaucoup de services publics, de commerces, de services à la personne, etc. font également défaut. Les campagnes se sentent délaissées et abandonnées à leur sort.

Le confinement a changé le regard sur les campagnes, les communes rurales reprennent de la vigueur, mais le discours dominant reste avant tout urbain, et la difficulté de la transition du monde agricole ne favorise pas l’émergence d’un modèle attractif pour les petites communes. Celles-ci souffrent de voir les mesures qui lui sont proposées imaginées à partir du modèle urbain, avec quelques adaptations. L’obsession de l’égalité des territoires conduit à ignorer les spécificités du monde rural. Ajoutez-y des représentations de la nature largement influencées par Walt Disney, sur fond de moquerie des bobos parisiens. Tout est en place pour l’incompréhension mutuelle, et un écart grandissant entre les mondes urbain et rural, qui se traduit clairement dans les urnes.

La lutte contre les déserts médicaux est aussi culturelle. Comment laisser émerger de véritables modèles ruraux, différents de ceux de la ville mais tout aussi valorisés ? Les campagnes françaises sont créatives et imaginatives, mais pas quand elles sont enfermées dans des modes de penser imaginés pour la ville. Le discours sur l’avenir de la planète qui serait dans les villes, l’opprobre sur la maison individuelle, la nécessité de réduire fortement le nombre des communes, diffuse une image déformée du monde rural, de ses besoins et de ses envies.

Acceptons que les campagnes aient leurs modèles propres, et au pluriel, nourris de l’histoire et de la culture locales, inspirés du génie du lieu, avec l’organisation sociale qui en résulte, une monnaie locale par exemple. La diversité est une richesse, le renouveau rural que l’on perçoit pourra prendre de l’ampleur et les médecins n’auront plus besoin de pression pour s’y installer, de même que les urbains qui y ont gouté pendant la crise sanitaire. La nouvelle dimension prise par l’informatique et le télétravail ouvre des perspectives, laissons-les largement ouvertes pour un maximum d’initiatives locales.

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, dit le bon sens populaire. On ne fera pas venir de médecins qui n’en n’ont pas envie, même à coup de carottes ou de bâton. C’est là qu’il faut porter l’effort, sur la qualité de la vie dans les campagnes du XXIe siècle, pour les médecins et tous les autres métiers qui manquent. Augmenter le nombre de médecins, c’est bien, encore faut-il leur donner l’envie d’exercer dans les campagnes.

Edito du 14 juin 2023

  • Vues: 167

Le développement durable, pour une recivilisation

Décivilisation, un mot inquiétant, qui nous rappelle que les civilisations sont mortelles. Jared Diamond nous avait bien décrit le processus dans son livre Effondrement (1). Cette fois-ci, une nouvelle extinction des espèces pourrait en être la conséquence, tellement notre civilisation a voulu jouer avec les grands équilibres qui régissent la planète. D’autres civilisations ont produit des déserts, mais les effets sont restés géographiquement limités, alors que la nôtre, par sa puissance, touche au climat, aux grands cycles, de l’eau, de l’azote, du phosphore, etc. Il serait temps de changer de civilisation.

La décivilisation fait référence à notre mode de gouvernance. Perte de cohésion de la société, sentiment d’abandon dont certains souffrent, éloignement physique et mental entre les décideurs et les citoyens, multiplication de messages alarmistes et souvent contradictoires, rapidité des transformations du monde, et bien d’autres ingrédients produisent un cocktail amer, qui met la gouvernance à rude épreuve. La recherche de valeurs sures est devenue un facteur déterminant dans le comportement et les choix de nos concitoyens. Une forme de quête de l’absolu qui se retrouve dans nos mentalités et nos systèmes politiques.

L’absolu comme recours, face à un monde incertain, se traduit dans les modes de gouvernance. Le poids des religions, de l’identité, en sont quelques aspects bien identifiés, comme la bonne santé, hélas, des régimes dits « illibéraux », ou des « démocratures ». Dans le pays où est née la démocratie, la Grèce, les électeurs devront retourner aux urnes parce que le gagnant de la récente élection ne se satisfait pas d’une majorité relative. Les pleins pouvoirs, sinon rien, pourrait-on en déduire. Absolu, voilà le mot magique. Certitude, stabilité, ordre, unité, efficacité, voilà les promesses de l’absolu. En France, l’absence de majorité absolue est perçue comme une faiblesse, que les gouvernants cherchent à surmonter péniblement. La presse présente cette situation comme un handicap politique et les pratiques parlementaires que nous observons le confirment. Et pourtant, personne ne croit qu’une majorité absolue existe dans la population, alors que le parlement est censé la représenter. Majorité absolue et démocratie semblent inconciliables, en dehors de périodes historiques exceptionnelles, à moins de fausser la représentativité des élus. C’est ce que nous faisons, allant même, quand le scrutin est proportionnel, à apporter un coup de pouce pour assurer une majorité absolue à la formation qui a atteint une majorité relative. Il n’est pas surprenant que de nombreux électeurs ne se sentent pas représentés, et finissent par se désintéresser de la vie politique. Sont-ils sur la voie de la décivilisation, ou bien est-ce le mode de fonctionnement de la « civilisation » qui est à revoir ?

Ajoutons que le mode de scrutin dit « majoritaire », sur la base de circonscriptions, ne l’est que dans les mots. C’est le plus sensible à une variation infime de l’opinion. Déplacez 1 ou 2% de l’électorat, ce sont des dizaines de députés qui changent de couleur, et vous obtenez une majorité différente. Les groupes sociaux bien organisés deviennent ainsi des « faiseurs de roi » et imposent leurs volontés. En période de profondes transformations de la société, comme aujourd’hui. Les groupes constitués protègent leurs intérêts, ceux du monde d’hier, et deviennent ainsi les gardiens du statu quo, d’une stabilité factice car très fragile, et de l’immobilisme bien perçu par Edgar Faure : « l’immobilisme est en marche, et rien ne pourra l’arrêter ». L’adaptation au monde nouveau qui se constitue sous nos yeux est bien mal partie. Le désarroi qui résulte de cette situation ne peut que contribuer à la décivilisation. En revanche, la recherche de la meilleure manière de tirer parti de ce nouveau monde, qui pourrait structurer une vision d’avenir et produire de la civilisation, reste marginale dans l’esprit des dirigeants, et notamment de la haute fonction publique, enfermée dans ses certitudes. « L’élite ou technostructure administrative en place a une oreille sélective, n’écoutant guère que ce qui est compatible avec la culture-maison et avec sa façon de faire, quitte à disqualifier l’expérience et les recommandations des « étrangers » nous disent deux experts en la matière, Patrick Gibert et Jean-Claude Thoenig (2).

Cette obsession de la majorité absolue conduit à un refus de toute construction commune à laquelle participeraient des formations différentes. La confrontation est la règle, sans le débouché que fournirait une forme de coopération. Nous n’avons pas besoin d’être d’accord sur tout pour collaborer, telle devrait être la règle pour explorer les futurs inédits, chercher de nouvelles opportunités. La poursuite d’une forme de développement type « ancien monde » conduit à des affrontements « hors sol », et inopérants face aux enjeux d’aujourd’hui. L’incapacité à dialoguer qui en résulte est la marque de la décivilisation en marche.

Pour « reciviliser », le besoin est urgent de perspectives de progrès « nouveau monde ». Le développement durable pour reciviliser, un beau programme.


1 - Paru en France chez Gallimard en 2006
2 - Dans « La modernisation de l’Etat », © Classiques Garnier, 2019

Edito du 7 juin 2023

  • Vues: 168

L’environnement pour faire des économies

Le double dividende est un des axes fondateurs du développement durable. Un gain pour soi-même, et un gain pour la collectivité, la planète, la nature. Gagner sur les deux tableaux n’est pas contradictoire, bien au contraire. Sans doute certains peuvent croire qu’ils vont gagner à négliger l’environnement, mais ce serait une victoire à la Pyrrhus, vite oubliée du fait des coûts qu’elle aurait provoqués. Et puis le gain personnel est un bon moteur, et il faut tout faire pour faire converger les intérêts personnels et collectifs.
Beaucoup ne croient pas à cette bonne aubaine. Notre morale nous a habitué à opposer ces deux types d’intérêt, la vertu ne peut être récompensée dans ce bas monde. Une sorte de malédiction, fille du péché originel, san doute…
Le paradoxe est qu’à première vue, l’environnement coute cher. C’est un effort particulier qui est demandé au consommateur. Le bio coûte plus cher que le conventionnel, les voitures électriques sont hors de prix, les logements bien isolés font payer leur qualité, les énergies renouvelables sont loin des prix du marché, et en plus, les taxes environnementales, comme celle sur le carbone, renchérissent les produits manufacturés. Chacun en tire une conclusion, à savoir que l’environnement est un luxe, et qu’il vaut mieux attendre des jours meilleurs pour s’en occuper.
Raisonnement à courte vue. Une vision de myope muni d’œillères. Reprenons l’exemple du logement. La construction du plus performant coute un peu plus cher que le tout-venant - et encore, la performance peut être obtenu par la sobriété – mais il coute beaucoup moins cher à chauffer. Les passoires thermiques coutent cher, par leurs consommations, mais aussi par de nombreux coûts indirects, comme la fragilité de la santé de leurs occupants, la fatigue, et leurs conséquences sociales. Un coût supporté par les occupants et par la collectivité, sécurité sociale notamment. Disons-le clairement, un logement de qualité est économique pour tout le monde, même s’il est plus cher à construire.
Il reste que cette présentation suppose un bon partage des coûts et des bénéfices entre tous les acteurs, promoteurs, banquiers et assureurs, constructeurs, conception et réalisation, bailleurs et locataires, propriétaires occupants, pouvoirs publics. Les instruments financiers peuvent fausser le jeu, il faut s’en préoccuper, mais la prise en compte de l’environnement ne peut qu’améliorer le bilan et orienter vers les bons choix.
La prise en charge de la transition énergétique est présentée comme très couteuse, notamment ans le rapport de Jean Pisani-Ferry rendu public le 22 mai dernier. Il ne met pas en regard des dépenses le coût de ne rien faire. Les pollutions et les dégradations de l’environnement coûtent chaque année des milliards d’euros, 100 rien que pour la pollution de l’air extérieur, par exemple, mais cette charge est diffuse, et n’apparait guère dans les comptes. Elle n’en est pas moins réelle, et sa réduction soulagera plusieurs gros postes de dépenses. Mais surtout, le calcul n’intègre pas les changements de modes de vie nécessaires pour la transition. Il est vrai que celle-ci coutera très cher si nous voulons absolument que rien de change. A l’inverse, elle sera très vite économique si nous acceptons de changer.
Le cas de l’alimentation, poids lourd du budget des ménages, est très corrélé avec le pouvoir d’achat perçu. Les consommateurs constituent leurs paniers, ou leurs caddys, en fonction des prix, auxquels ils sont très sensibles. Le « signal prix » fonctionne à plein, utilisons-le pour composer des menus bons pour les humains et pour la planète. Les premières économies viennent en se conformant aux saisons, et en favorisant les circuits courts. Ensuite, il se trouve que les produits les plus chers sont aussi ceux qui sont les plus pénalisants pour l’environnement, avec en première ligne la viande rouge. A l’inverse, les produits végétaux, notamment les légumes secs, dont la production est plus favorable à l’environnement, sont plus économiques. C’est en changeant la composition de vos menus que vous pourrez combiner qualité et économies. Moins de produits d’origine animale, et plus de végétaux, et vous maîtriserez votre budget alimentation en maintenant la qualité et en faisant du bien à la planète.
C’est le même mécanisme qui prévaut pour la mobilité. C’est en changeant de mode que vous gagnerez de l’argent. Un premier degré est le bon entretien de la voiture, et en adoptant un mode de conduite apaisé. Votre consommation baissera immédiatement de 15 à 20%. Pour aller plus loin, il faut s’interroger sur l’usage que vous faites de la voiture. Pouvez-vous la partager pour une partie de vos déplacements ? Le covoiturage se développe en France, notamment pour les trajets domicile-travail. La location sous une forme ou sous une autre permet de disposer d’une voiture juste quand vous en avez besoin, au lieu de l’avoir immobile toute la journée devant chez vous. Eviter la charge d’une voiture en propriété permet de faire une grosse économie. Comme pour l’alimentation, si vous acceptez de changer vos habitudes, vous pourrez engranger votre part de double dividende, avec le volet pouvoir d’achat.
Côté collectivité, la dégradation de l’environnement coute cher. Des centaines de milliards d’euros chaque année, payés par des institutions comme la sécurité sociale, ou les services publics comme l’épuration de l’eau qui coule à votre robinet. Une dépense diffuse, mais en définitive payée par tous immédiatement et par nos descendants, à commencer par nos enfants.
Les mots sont parfois trompeurs. Vous entendrez souvent dire que l’environnement coute cher, mais c’est tout le contraire : c’est la dégradation de l’environnement qui coûte cher. Protégez le, et vous ferez des économies.

Edito 24 mai 2023

  • Vues: 185

L’éolien réhabilité ?

Est-ce un début de retour à la raison ? La présentation du projet de loi « industrie verte » semble réhabiliter les énergies renouvelables (ENR). Il y a bien eu une loi pour accélérer leur développement, mais nombreux sont les experts qui craignent que les nouvelles conditions d’implantation ne soient plutôt un frein. Le retard de la France en la matière nous coute cher. Nous sommes le seul pays de l’Union Européenne qui n’ait pas atteint les objectifs que nous nous sommes nous-mêmes donnés, 19,3% au lieu de 23%. Outre les pénalités que ce retard entraîne, 500 millions d’euros, l’achat des kilowattheures pour faire face au déficit de notre production est évalué à plusieurs milliards, entre 6 et 9 milliards d’euros.
C’est que la demande d’électricité ne peut qu’augmenter au cours des prochaines années, pour se substituer aux énergies fossiles qu’il faut éliminer d’ici 2050, ou presque. Le parc nucléaire existant a vieilli, et malgré les travaux de remise en forme, le « grand carénage », sa disponible est en baisse, comme nous l’avons vu l’été dernier. Le nouveau nucléaire, quant à lui, ne pourra alimenter les réseaux qu’à partir de 2035, et à un prix deux fois plus élevé que l’ancien. Comment répondre entre temps à la demande, et comment maintenir le prix de l’énergie à un prix compétitif ? Les renouvelables, dont le solaire et l’éolien, ont vu leurs coûts baisser fortement, pour atteindre aujourd’hui les prix du marché, et la baisse continue.
Le recours aux ENR est incontournable, et de chacune d’elles, notamment les éoliennes terrestres, dont paradoxalement les objectifs de production ont été réduits dans les discours récents du Président. Une source d’énergie économique, qui fait l’objet d’une campagne de désinformation, proche d’un déferlement de haine, pour reprendre le titre du livre de Cédric Philibert, « pourquoi tant de haine ? ». Avec les prix actuels de l’énergie, la production des ENR permet d’ores et déjà de rembourser à l’Etat d'ici la fin  de l'année toutes les subventions qui leur ont été affectée depuis l’origine. Les ENR rapportent aujourd’hui des milliards d’euros à l’Etat.
Leur développement fait en plus appel à des investisseurs privés, en non à des financements publics, comme le nucléaire. En ces temps de retour, bien difficile, à l’équilibre budgétaire, les ENR sont un atout considérable. Ce n’est pas le seul, surtout dans une perspective d’exportation, l’un des objectifs du projet de loi « industrie verte ». Leur déploiement dans le monde devient une opportunité industrielle. « Entre 2022 et 2027, les énergies renouvelables doivent croitre de 2.400 GW dans notre scénario central, c'est l'équivalent de l'ensemble des capacités de production d'électricité installée en Chine actuellement. Cela représente aussi une accélération de 85 % par rapport aux cinq années précédentes ». Nous sommes en présence d’enjeux industriels lourds, sur lesquels il convient de se positionner. L’objectif du projet de loi « industrie verte » apporte une réponse : « faire de la France le leader de l'industrie verte en Europe. Une nation capable de fabriquer des pompes à chaleur, des batteries, des éoliennes, des électrolyseurs, des voitures électriques, mais aussi de décarboner ses industries existantes pour fournir le verre et l’aluminium dont elle aura massivement besoin, grâce à son parc nucléaire unique » peut-on lire dans la présentation du projet de loi.
Les éoliennes seraient-elles réhabilitées ? Les voici dans le lot des industries vertes à booster, en bonne place. Le solaire photovoltaïque (PV) y trouve aussi sa place, grâce notamment aux progrès de la recherche en la matière. De nouvelles générations de cellules PV vont naître, plus performantes. La recherche européenne vise 30% de rendement, contre 25% environ aujourd’hui. Une occasion de renouveler l’appareil de production de ces cellules, et de ne pas en laisser le quasi-monopole à la Chine, et d’en installer une part en Europe. Il y a encore des résistances dans notre pays, qu’il va falloir bousculer. Que les financiers soient sensibles au coût de la tonne de carbone évitée est bienvenu, mais pas au point d’oublier que le coût des premiers kWh renouvelables produits comporte une part essentielle de soutien à la recherche. Les évaluations doivent se placer dans une perspective dynamique, intégrant le prix de l’innovation et du développement. Pour le solaire posé au sol, la crainte de consommer de l’espace agricole fait oublier qu’une surface couverte de capteurs solaires produit cent fois plus que les cultures énergétiques utilisées aujourd’hui.
Le déploiement de l’industrie verte suppose une évolution des mentalités, et surtout de faire les bons calculs économiques. L’environnement nous coûte cher, entend-on dire souvent. Une faute grossière de raisonnement. C’est le défaut d’environnement qui coûte cher, des centaines de milliards d’euros chaque année en France, payés par tout le monde de manière diffuse ou en cotisations sociales. L’industrie verte coute peut-être un peu plus cher à la sortie de l’usine, mais la baisse des coûts indirects, externes aux entreprises, que l’industrie grise provoque compense largement la différence. Il reste à créer les outils financiers pour que les prix du marché reflètent les coûts réels, y comprisnles coûts « externes ».

Edito du 27 mai 2023

mode de vie, ressources, avenir, nature

  • Vues: 178

L’avenir à reculons

Schématiquement, il y a deux manières de réagir face aux changements qui nous bousculent en permanence. Une question d’état d’esprit, ou de tempérament, ou encore de circonstances. Les uns vont tenter d’anticiper et de prendre de l’avance, et profiteront du changement pour affirmer, ou améliorer, leur place dans la société. Les autres voudront résister au changement, et attendre qu’un nouveau changement ne vienne chasser le précédent. Quelle est la bonne attitude ? La réponse dépend évidemment du type de changement, et en particulier des causes du changement, selon que leur caractère est inéluctable ou non. Il ne sert à rien en effet de nager contre un courant bien plus fort que vous, de lutter contre un « rouleau compresseur » qui avance sans état d’âme.
Face à l’inéluctable, il faut composer, s’adapter, et le plus tôt nous nous y préparons, le mieux ce sera. Toute résistance par principe, ou par inertie ou lassitude, ou encore par refus d’accepter le nouvel état des choses, ne conduirait qu’à dépenser de l’énergie et du crédit en pure perte.
Prenez le cas de notre beau pays, la France, fière de son histoire, de sa culture, de sa langue, et de sa position dans le monde, un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, et une défense fondée sur la possession de l’arme nucléaire. La montée en puissance de nouveaux pays, la Chine, bien sûr, mais aussi des BRICS en général, de l’Asie du Sud-est, et de continents entiers, comme l’Amérique latine et, bientôt, de l’Afrique, est inéluctable. Il est possible de la retarder, sans doute, mais à un terme plus ou moins proche, ces pays feront jeu égal avec nous, et c’est légitime. Pourquoi vivraient-ils moins bien que nous, de quel droit ? Nous représentons 1% de la population mondiale, et la révolution industrielle nous a permis de prendre, avec quelques autres, une position dominante qui ne peut durer éternellement. La nostalgie de l’époque où nous dominions le monde ne peut nous servir de moteur pour aborder l’avenir. Ce serait le déclin assuré. Il faut nous réinventer, et trouver en nous-mêmes les ressources qui nous permettront de conserver une place à part parmi les nations. Une place qui ne sera plus la conséquence d’une position de force, mais du type de civilisation que nous représentons.
Autre phénomène inéluctable : le vieillissement de notre population. C’est le simple résultat, mécanique, de la stabilisation de la population mondiale, que nous sommes nombreux à souhaiter pour préserver notre planète, et qui se fera au cours de ce siècle. Nous pouvons retarder le vieillissement en faisant des enfants, mais comment justifier une politique nataliste tout en prônant la stabilisation de la population ? Ce serait de toute façon une manière de reporter l’effort sur les générations suivantes, ce n’est pas leur faire un cadeau. Il faut donc s’adapter à une plus forte proportion de vieux. Organiser la société pour qu’elle puisse fonctionner, produire, se soigner, se protéger, etc. avec une nouvelle structure démographique. Voilà un débat « refondateur », puisque la refondation est à l’ordre du jour. Le travail en sera une composante, mais avec bien d’autres sujets, certains pratiques, comme le logement ou la santé, d’autres plus sociologiques, comme la capacité d’innover et de se projeter dans le futur.
La démographie se manifeste aussi dans les mouvements de population. Les migrations seront de plus en plus pressantes, filles de la pauvreté, de l’instabilité politique et de conflits de toutes natures, et demain (c’est déjà commencé) du réchauffement climatique, et il sera vain de s’y opposer par des murs qui seront inévitablement contournés tant que la situation ne trouvera pas un équilibre. Faire avec les migrations est inéluctable, et il vaut mieux s’y préparer, notamment pour rajeunir la population et rééquilibrer notre pyramide des âges, que de refuser l’inéluctable.
La question de l’eau est de plus en plus préoccupante. Aux niveaux mondial et national. Nous le savons depuis longtemps, mais l’immobilisme s’est encore imposé, nous cherchons toujours à mobiliser plus d’eau douce (barrages, puits plus profonds, dessalement d’eau de mer, etc.) plutôt que chercher à vivre bien avec moins d’eau, seule solution à terme.
Et le climat, bien sûr, un réchauffement inéluctable compte tenu de l’inertie du phénomène, auquel il faut s’adapter tout en essayant de le limiter. Combien d’entreprises, et d’Etats, continuent à investir ou subventionner les énergies fossiles - Plus de 1000 milliards de dollars de subventions en 2022- au lieu de porter tous leurs efforts sur la décarbonisation de l’économie ? Nous allons vers l’avenir à reculons. Tout se passe comme si nous préférons renforcer notre arrière garde plutôt que soutenir les éclaireurs et l’avant-garde.

Edito 17 mai 2023

  • Vues: 194

Le roi Charles au secours de notre empreinte écologique

Pendant que le roi Charles préparait son couronnement, je suis allé à Castelnaudary, grand port sur le canal du Midi, célèbre pour son cassoulet, issu d’une recette ancestrale qui fait toujours recette. Une recette, justement, à partir de haricots du Lauragais, production locale d’origine aujourd’hui protégée. Une légumineuse, une plante sobre qui nous fait le plaisir de capter l’azote de l’air et d’enrichir ainsi la terre, en plus de nous nourrir. Elle nous apporte lipides et protéines, des fibres, du fer et du calcium. Et pas cher, ce qui n’est pas rien côté pouvoir d’achat. Bref, tout pour plaire, pour qui sait la cuisiner.
Je me suis demandé pourquoi ce type de plat, populaire, gouteux, économique, et généreux avec le sol qui le porte, n’a pas plus de succès. Je ne sais pas si la quiche végétarienne du roi Charles contenait des lingots ou autres cocos, mais ce choix illustre l’importance de l’alimentation pour notre environnement. Environnement personnel, à la recherche à la fois de plaisir et d’un bon équilibre nutritionnel, et environnement global : Notre alimentation représente un tiers de notre empreinte écologique, soit de la pression que chacun exerce sur la planète.
L’initiative royale pourrait-elle redonner l’envie de manger les légumineuses ? Elles n’ont pas vraiment la cote. Nous en mangeons 4 fois moins qu’il y a 20 ans. Sans doute notre mode de vie, toujours pressé alors qu’il faut s’y prendre à l’avance pour un bon plat de haricot, exigence moindre, cependant, pour les lentilles, notamment les lentilles corail qui cuisent le plus vite. Les industriels en font des conserves et autres plats cuisinés pour nous simplifier la vie, mais rien à voir avec un repas mijoté à la maison.
Le sujet avait déjà intéressé le Gouvernement danois. C’était en 2009, et la question a été posée à des grands chefs de cuisine, de chercher à réduire la consommation d’énergie dans leurs pratiques, et de confectionner des recettes économes utilisables par tout le monde. Ils ont découvert les vertus du cru ou presque cru, et se réjouissaient d’avoir découvert de nouvelles saveurs. Choix des produits, manière de cuisiner, voilà deux pistes pour réduire notre empreinte écologique tout en prenant du plaisir.
Faut-il encore que ces nouvelles pratiques soient adoptées par les cuisiniers, chez soi et dans les collectivités. Il y a mille manières d’orienter leurs choix. Tout d’abord, l’incitation bien connue à manger local et de saison. Il y a aussi l’interdiction des mauvais produits. Toujours difficile, comme on l’a vu avec les nitrites dans la charcuterie, dont l’interdiction a été rejetée à l’Assemblée nationale le 12 avril dernier. Il y a les indicateurs, type nutriscore, qui font d’ailleurs l’objet de rejet de la part de nombreux industriels, ou les labels, notamment pour l’agriculture biologique. Nous sommes là sur les produits, et non sur la manière de les préparer. Les industriels peuvent les proposer dans des formules plus faciles à cuisiner. Une première transformation qui favorise la confection de plats courants hier, mais oubliés aujourd’hui. Et puis, il y a l’image des produits, la vertu étant aisément associée à l’austérité. Les recettes dans les livres de cuisine, les chefs très présents dans des émissions de télévision, les menus de grands restaurants, et des moins grands, le choix affiché de vedettes, autant de manières de revaloriser d’une cuisine bonne à la fois pour les humains et pour la planète. Une illustration du « double dividende », qui est une des marques du développement durable.
L’alimentation est un enjeu majeur du développement durable, reconnu par l’ONU parmi les 17 objectifs du développement durable, sous le titre « faim zéro ». En premier lieu la lutte contre les famines et les carences qui résultent de déséquilibres nutritionnels. Dans les pays du Sud et ceux du Nord, où l’obésité prospère avec les coûts sociaux qui en découlent. L’alimentation est une des entrées les plus naturelles dans l’univers du développement durable. Chacun a son idée sur la question, avec ses goûts, ses habitudes culinaires, ses pratiques courantes. Une implication culturelle très profonde, avec souvent une marque de statut social. Un ensemble complexe de motivations, à intégrer dans une politique active pour donner l’envie de plats et les recettes durables, qui offrent de la fierté aux personnes et aux familles qui les adoptent.

Edito du 10 mai 2023

  • Vues: 199

Les faux amis

Ils sont nombreux, les faux amis, qui nous rattachent au monde d’hier au lieu de nous aider à cheminer vers celui de demain. Ce sont des associations de mots ou d’idées, qui semblent évidentes et qui ne le sont pas, ou qui ne le sont plus.

La raison en est simple. Nous passons d’un mode de raisonnement linéaire, action-réaction, cause-effet, etc. à un mode multiforme, qui intègre de nombreuses interactions entre des acteurs ou des phénomènes. Nous entrons dans la complexité, qui nous réserve souvent des surprises. Ce qui en fait le charme, bien sûr.


L’exemple de l’extermination d’un gêneur est classique. Plusieurs déclinaisons, en Amérique du Nord ou en Chine. Dans un cas, le gêneur est le loup. Cette sale bête mange les cerfs qui peuplent les forêts, et réduit ainsi le gibier que les humains convoitent. Exterminons-le, nous aurons plus de cerfs à chasser. Ainsi fut fait. Résultat, les cerfs ont proliféré, en l’absence de leur principal prédateur. Ils ont été nombreux à brouter les jeunes pousses des arbres. Trop nombreux. La forêt ne l’a pas supporté, elle s’est appauvrie, ce qui a entraîné une chute brutale de la population de cerfs. Le loup était un allié, et nous ne nous en rendions pas compte. Le raisonnement primaire était une erreur. Un faux ami. En Chine, ce sont les « nuisibles » qu’il a fallu anéantir pour rendre le pays plus prospère, et réussir ce fameux « bond en avant ». Haro sur les oiseaux, qui mangent les graines qui devraient se retrouver dans nos greniers. Résultat : sans oiseaux, les insectes ont proliféré, et ont détruit les récoltes. Une famine et des millions de morts. Encore un coup de la pensée linéaire, qui ignore les interactions, les boucles et autres liens d’interdépendance entre les êtres vivants.


Il faut dire que les mots sont parfois trompeurs. Prenez Précaution. Il renvoie à une idée de prudence, de modération, voire d’immobilisme. Il y a un côté « parapluie » dans le mot. J’entre dans l’inconnu, alors j’avance prudemment. C’est en partie vrai, mais le volet « prudent » ne doit pas occulter le volet « j’avance ». Encore un faux ami qui vous pousserait à vous protéger et à ne prendre aucun risque, alors que c’est juste le cadre conceptuel nécessaire pour prendre des risques dans un esprit de responsabilité vis-à-vis de la collectivité. Une incitation à prendre des risques maitrisés.


La relation directe action-réaction conduit souvent à ignorer le contexte et les autres dimensions qui touchent le sujet observé. Par exemple, l’idée est répandue qu’il faut favoriser l’énergie nucléaire pour répondre à la crise climatique. Une énergie décarbonée, voilà la solution. Oui, mais n’oublions pas le facteur temps. Dans la situation où nous nous trouvons, il faut 15 ans pour mettre en place une centrale nucléaire, alors qu’il faut agir très vite, l’avenir du climat se joue dans les 10 ans qui viennent, nous disent les experts. Comment faire, ici et maintenant, pour endiguer le réchauffement ? Idem pour le financement des retraites. Il faut faire des enfants, proclament certains, pour payer nos retraites de demain. Là encore, le facteur temps semble négligé, car la question du financement se posera bien avant l’accès des nouveaux nés au monde du travail. Et le raisonnement ignore un autre aspect important, le besoin de stabiliser à un terme proche le niveau de la population mondiale. Comment assumer une politique nataliste chez nous, dans un monde qui doit réduire sa croissance démographique ? Mieux vaut s’adapter à une nouvelle donne que de rêver d’une solution miracle. Les faux amis suggèrent souvent de fausses bonnes idées.


Dans un autre registre, le flicage donne-t-il de bons résultats ? sans doute dans certains domaines, mais attention à ce que la multiplication des contrôles ne produisent l’effet inverse, en stimulant le désir de les contourner. L’exemple de l’accès aux fournitures dans les bureaux illustre ce résultat contre intuitif. L’accès libre réduit la demande, alors que le passage obligé par un bon de commande ou le visa d’un dirigeant l’accroît. Tout simplement parce que la difficulté de l’accès pousse à gonfler la demande, pour être sûr de ne pas manquer. Il y sans doute un peu de « coulage » dans la formule de libre accès, mais le bilan observé dans les entreprises est que, au total, la consommation de fournitures est en baisse. Plus de contrôle pour maitriser la consommation ? encore un faux ami.


Ces exemples ne sont que des exemples, tous les « amis » ne se révèlent pas faux. La réaction directe action-réaction, ou ce que l’on appelle le bon sens, apportent souvent de bonnes solutions à nos problèmes. Mais méfions-nous des évidences acceptées aveuglément comme telles. Non seulement certaines sont fausses, ou sont devenues obsolètes, mais elles nous aveuglent et nous dissuadent de faire autrement, d’explorer de nouvelles voies de progrès. Il faut savoir discerner les vrais des faux amis.

Edito du 3 mai 2023

  • Vues: 211