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Les délices de l’inaction

Qu’il est doux de ne rien faire ! En cette veille de départ en vacances, il serait cruel de montrer les travers de l’inaction, attendue de beaucoup comme un moment de détente et de récupération. Il faut assurément respecter nos rythmes biologiques, et il arrive que l’inaction soit une bonne chose, qu’elle soit nécessaire. Le sommeil, par exemple, qui semble être le summum de l’inaction, est une phase essentielle de notre cycle de vie au quotidien.

En matière d’environnement, il y a aussi des circonstances où ne rien faire est le mieux, notamment dans les forêts primaires ou des sites fragiles. Mais la dégradation de nombreux équilibres planétaires nous conduit, au contraire, à intervenir vigoureusement. L’inaction est interdite. Il arrive même qu’elle soit portée vers les tribunaux.
L’inaction n’est pas le contraire de l’action, comme il serait tentant de le croire. Une différence de nature les sépare : l’action se décide, l’inaction ne se décide pas, elle se constate. La décision est, en matière publique, un parcours d’obstacles. Les pouvoirs publics doivent suivre des procédures pour fixer un cadre, et les acteurs de terrain les utilisent à leur manière. Une chaine de décideurs partiels, qui ne donne pas forcément les décisions attendues. Les autorités ont malgré tout un rôle dans ce parcours d’obstacles : elles peuvent l’aménager pour faciliter la prise de décision. Mais attention, les nombreuses lois dites de simplification ont souvent eu un résultat opposé à leur objectif. En voulant substituer un système à un autre, elles ont rajouté une couche à un dispositif sans parvenir à supprimer celles qui précèdent. La récente loi d’accélération des énergies renouvelables laisse croire que cette fatalité se prolonge, si l’on en croit de nombreux acteurs de la filière. Attendons de voir son effet pour porter un jugement. C’est qu’il y a de nombreux paramètres à intégrer, et souvent autant d’acteurs à mettre d’accord. Les effets secondaires d’une décision peuvent être redoutables, et il convient d’apaiser les craintes qu’elle pourrait susciter. La décision est à ce prix. Un prix parfois surévalué par les opposants à la décision, ce qui provoque inévitablement des retards, des expertises contradictoires, des hésitations.

C’est ainsi que nous prenons un retard sur les actions de lutte contre le réchauffement climatique, ou d’adaptation à ses effets. Dans son dernier rapport le Haut conseil pour le climat (HCC) observe que « les transformations structurelles n’avancent pas au rythme attendu », alors que nous somme déjà en retard par rapport à la trajectoire retenue pour 2030.

Ne rien faire consiste notamment à faire durer des actions ou des aides défavorables pour le climat. Dans le projet de budget les dépenses défavorables progressent tandis que les favorables régressent. Tout faux. Du côté des productions industrielles, qui évoluent chaque année, les contre-performances sont courantes. Par exemple, le poids des voitures, donc leur consommation d’énergie, ne fait que croitre. Il est passé de 800kg en moyenne en 1960 à 1250 aujourd’hui. Le choix de maintenir une vitesse maximum beaucoup plus élevée que celle autorisée conduit à renforcer tous les systèmes de sécurité, et par suite le poids des voitures, en pure perte. Et puis, tandis que le HCC rappelle la nécessité de réduire notre consommation de viande, j’entends à la radio une publicité qui nous rappelle que le bœuf, « c’est si bon »…

Une autre manière de prendre des mesures structurelles est de profiter des changements qui s’annoncent « naturellement ». L’agriculture est le deuxième poste d’émission de gaz à effet de serre en France. Près de 20%, pour 2% du PIB, une bien piètre performance. Il se trouve, que pyramide des âges oblige, une bonne part des chefs d’exploitation vont partir à la retraite au cours des prochaines années. Voilà une occasion rêvée de changer en profondeur les techniques et les choix de production. Nouveaux agriculteurs, nouvelle agriculture. Il semble bien que ce soit l’inverse qui se passe. Les exploitations qui disparaissent sont reprises par leurs voisins, qui agrandissent ainsi les leurs. Résultat : Plus d’engins plus puissants et plus lourds, disparition des haies entre les parcelles regroupées, bref poursuite des phénomènes de concentration qui ont conduit à la situation actuelle.

Que le changement est difficile, qu’il est difficile de ne pas faire « comme avant » ! Moderniser, dans des périodes de « grande transformation », oblige à changer de ligne directrice, à remettre en question les principes d’action adoptés dans un contexte bien différent, celui de l’après-guerre bien souvent. Le « plus » était la règle, aujourd’hui, c’est le « mieux », et ça change tout. L’action commence dans les esprits. Les repères acquis dès l’enfance sont devenus obsolètes, et nous avons souvent du mal à l’admettre, et à en rechercher de nouveaux. L’économiste Keynes, qui a joué un rôle essentiel pour sortir de la grande crise des années 1930, disait que « le plus difficile n’est pas d’adhérer aux idées nouvelles, mais de s’affranchir des anciennes ». La première action, la mère des batailles, est sans doute de retrouver une liberté de pensée.

Edito du 5 juillet 2023

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Commentaires

0
Y Poss
2 mois ya
Bonjour, Dominique, Pour un "dictionnaire", l'exigence dans l'emploi des termes devrait être la règle. Et je conteste l'emploi de la locution "forêt primaire". Parce que, d'une part, il y a bien longtemps que ce type de forêt a disparu: M. Descola montre bien que les "peuples premiers" utilisaient déjà les forêts pour les adapter à leur usage, certes avec une gestion douce, "durable", mais qui n'en altérait pas moins la composition "primaire", d'avant l'apparition de l'homme.En Europe,la forêt de Bielowitsa a été drainée, boisée en épicéa, et les aurochs y ont disparu.
D'autre part, avec l'Anthropocène, l'influence de l'homme est devenue universelle: climat, migrations d'espèces, disparition des grands mammifères et oiseaux, la retour vers une "forêt primaire" est une pure illusion,même à vision très lointaine. Il ne me semble pas correct de s'associer à un tel mensonge.C'est une nouvelle "trahison des clercs", à mon avis.
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