
L’écologie a besoin d’entrepreneurs
Il est de bon ton, dans les milieux écologistes, de vilipender les entreprises, surtout les grandes entreprises, les multinationales, ou du moins de s'en méfier.
Il est vrai que les entreprises jouent un rôle déterminant dans les dégradations du milieu, elles sont pour l'essentiel le bras armé de l'humanité qui, depuis des siècles voire des millénaires tente d'asservir la nature. Faut-il incriminer les entreprises ou bien doit-on s'interroger sur la nature humaine, et sa conception de la nature ? Les entreprises ne sont que des instruments que l'humanité s'est donné pour étendre son influence et s'affirmer comme roi de la création.
La méfiance et donc de mise. Ce sont bien les entreprises qui mettent les pratiques à l'origine de tous ces dégâts. Il est donc normal de s'interroger sur leur fonctionnement, sur les limites qu'il faut leur donner dans leur désir d'expansion. Craignons que l'entreprise, création humaine, ne prenne sa liberté et s'affranchisse, tel Frankenstein, de toutes les règles nécessaires pour assurer le respect des humains et des milieux où ils vivent, où ils puisent leurs ressources. L'entreprise pour elle-même, en quelque sorte, et non l'entreprise au service des humains.
C’est ce qui arrive quand les actionnaires sont loin de l’entreprise, qu’ils n’en voient que les dividendes qu’ils en tirent. L’entreprise est alors une abstraction, une simple machine à fournir du cash. Sa raison d’être, au service des humains, a disparu des radars. Bien des économistes ont ainsi réduit l’entreprise aux seuls actionnaires, au lieu de la considérer comme un être complexe, avec des humains derrière, les actionnaires, bien sûr, mais aussi les personnels, les clients, les fournisseurs, et l’environnement, le milieu où elle exerce son activité, où elle puise ses ressources. C’est cette dérive qui donne mauvaise presse aux entreprises, dérive hélas persistante malgré des efforts de redressement tels que la loi PACTE.
La transition, la sortie de l’ère du carbone, est une épreuve redoutable qui ne peut être affrontée sans la participation active des entreprises. Leur puissance, leur capacité d’intervention, ont été des facteurs de dégradation des milieux et du climat. Elles sont aujourd’hui nécessaires pour redresser la situation, et l’objectif de tous les tenants de la grande transformation de l’économie, de la métamorphose comme le dit Edgar Morin, devraient être de mobiliser cette force. De nombreuses entreprises se sont déjà engagées, mais le contexte dans lequel elles évoluent, les lois de la concurrence, les règlements hérités d’une autre époque, ne leur rendent pas ce choix facile.
Il faut ajouter l’attitude de nombreux écologistes qui ne parviennent pas à admettre que les entreprises, coupables à leurs yeux de tellement de méfaits, puissent participer à la transition. Au lieu de chercher à séduire les entrepreneurs, ils émettent des signaux négatifs, et laissent croire que l’écologie n’aime pas les entrepreneurs. Un sentiment qui conduirait tout droit à l’échec de toutes formes de transition. Le principe de précaution, notamment, a été interprété par beaucoup comme un obstacle à la liberté d’entreprendre, alors qu’il est, en réalité, l’élément central d’une culture du risque.
Les changements profonds que nous devons engager comportent une forte part de risque. L’aventure humaine entre dans une période troublée, sans certitude autre que celle que le prolongement des anciennes pratiques nous conduit dans le mur. L’alerte est claire, malgré le lobbying intense de tous ceux qui voudraient que rien ne change. Se concentrer sur l’alerte, la répéter sans cesse ne suffit plus, il faut se lancer dans de nouvelles aventures, imaginer de nouvelles formes de « progrès » et en montrer la faisabilité, en donner envie. L’esprit d’entreprise, l’acceptation du risque, sont à ce titre des qualités incontournables pour affronter les obstacles qui se dressent sur la voie du changement.
Il y a de faux entrepreneurs, tous ceux qui s’accrochent au passé, et tentent de faire durer une rente de situation, de repousser les échéances. Ils ont acquis leur puissance dans le monde d’hier, et ils en usent pour le prolonger. Seule la peur de voir leurs actifs s’effondrer pourrait les faire changer de position. Une mentalité de rentiers, en fait. Mais il y a aussi de nombreux entrepreneurs que la construction d’un monde nouveau attire. Quoi de plus exaltant que d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’humanité ? Des entrepreneurs au sens large, qui ont envie de transformer le monde : des chefs d’entreprise, des élus, des responsables associatifs. L’écologie a besoin de ces entrepreneurs.
Edito du 11 octobre 2023
- Vues : 276