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Le temps des éclaireurs

Face à l’importance des changements que nous devrons affronter, le négationnisme climatique semble progresser. « Encore un instant, Monsieur le bourreau », pourrait-on penser, mais le climat n’attendra pas. Les pétroliers sont en première ligne pour retarder toute action immédiate, mais ils ne sont pas seuls à vouloir continuer comme avant. Les agriculteurs attachés à leur modèle, qui produit 20% des gaz à effet de serre pour 2% du PIB français, et de nombreux industriels à en croire les applaudissements que le patron de TotalEnergie a recueillis en évoquant sa conception du réalisme. Un réalisme du genre « jusqu’ici, tout va bien », selon la fameuse plaisanterie du monsieur qui tombe du 15e étage. Il y a donc les cyniques, parfaitement informés et qui jouent les prolongations, il y a aussi tous ceux qui espèrent que la technique et la science finiront par résoudre tous les problèmes moyennant quelques changements mineurs. Et puis tous ceux qui ne peuvent imaginer un monde différent de celui qu’ils ont toujours connu. « Nous ne croyons pas ce que nous savons », selon Jean-Pierre Dupuy, auteur du livre « pour un catastrophisme éclairé » (Seuil, 2008).

Il faut dire que le discours des écologistes et de tous ceux qui ont accepté l’idée du changement n’en donne pas vraiment l’envie. Le mot « désirable », souvent employé, ne signifie pas la même chose pour tous ceux pour qui la consommation est un signe de statut social d’un côté, et d’un autre pour les militants écolos, végétariens de surcroît. La sobriété aujourd’hui mise à la mode par le Gouvernement est vite assimilée à privation, l’idée même de renoncer à ses rêves est souvent mal vécue. La fin de l’abondance n’est pas une bonne nouvelle en soi. Bien sûr, elle conduit à plus de sagesse et de discernement, mais la privation est immédiatement ressentie, et masque le reste.
Accepter de changer n’est pas une décision facile à prendre, tant qu’il y a encore un espoir d’y échapper, une illusion à laquelle chacun s’accroche. Il faut sortir de sa zone de confort, et pour cela en avoir les moyens. La peur de catastrophes multiples, souvent mises en avant pour motiver les hésitants, ne fait que pousser au repli sur soi, alors qu’il faut au contraire avoir confiance en soi et se sentir fort pour entreprendre l’aventure du changement. Une aventure qui ne peut s’entreprendre sans aventuriers, sans explorateurs qui pourront ouvrir la voie, ou au moins l’éclairer. Comment motiver des éclaireurs en puissance, comment les mobiliser pour l’aventure du changement radical que nous devrons engager pour vivre mieux demain, en intégrant le climat et la biodiversité, bien sûr, mais aussi les rééquilibrages géopolitiques et les nouvelles technologies.

Nous nous plaignons souvent des maigres résultats des COP, et la dernière, la COP 28, n’échappe pas à la critique. Bla bla bla. Il manque des actes. C’est sans doute le système onusien, avec ses lourdeurs et ses contradictions, qui explique cette timidité dans les faits, mais pas tout. Le discours des partisans du changement porte aussi sa part de responsabilité. Rappelez-vous Copenhague, la COP 15, en 2009. Forte mobilisation des ONG sur des objectifs manifestement hors de portée, compte tenu des positions de la Chine et des Etats-Unis, que chacun savait définitives. Une forte mobilisation pour un échec annoncé, ce n’est pas une bonne stratégie. Le résultat est un découragement des militants, et par suite un désengagement. Le mot « fardeau », utilisé pour désigner le poids du passé, ne facilitait pas le tâche des représentants des Etats qui devaient rendre des comptes à leurs mandants. D’une manière générale, le langage écologiste n’est guère encourageant pour les entrepreneurs. Adieu la qualité de vie et de l’environnement, valeurs positives, bonjour le fardeau, donc, la précaution, l’extinction, les impacts (supposés mauvais), la protection. Des mots totalement justifiés, pour qui en connait le sens véritable, mais pas très engageant pour le profane qu’il faudrait convaincre. Et des mots qui ouvrent la possibilité à tous les détracteurs de caricaturer le combat écologiste.

L’alerte a été le cheval de bataille des écologistes depuis « Le printemps silencieux », le livre de Rachel Carson publié en 1962. Il semble bien que ce soit toujours l’alerte qui tienne la vedette. Il ne faut pas l’oublier, mais elle doit laisser la première place aux perspectives offertes par le changement. Au lieu d’insister sur son coût et les difficultés de la transition, mieux vaut évoquer la nouvelle qualité de vie et les bénéfices que nous tirerons collectivement du changement. Les lanceurs d’alerte doivent laisser le premier rôle aux entrepreneurs du développement durable, qui donnent envie de s’engager, qui donnent de l’espoir, au lieu de se fixer sur une attitude défensive dans le seul but d’éviter la catastrophe. L’écologie a besoin d’éclaireurs pour montrer la voie. Il y en a déjà, et c’est heureux, mais ils sont inaudibles dans le discours général à connotation purement défensive. Si nous ne changeons pas de discours, l’immobilisme ou la lenteur que nous critiquons ont de beaux jours devant eux.

Edito 13 décembre 2023

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