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La restauration de la nature : une aubaine

La bataille est encore loin d’être gagnée. Les procédures européennes étant ce qu’elles sont, il reste plusieurs étapes à franchir pour que la loi européenne sur la restauration de la nature soit définitivement adoptée. Mais le ton est donné par un vote du Parlement européen, le 12 juillet dernier. A l’issue d’un affrontement parfois violent entre partisans et opposants, soutenus chacuns par leurs lobbys, et de l’adoption de nombreux amendements, le Parlement a adopté le projet, qui doit à présent poursuivre son chemin entre Conseil et Commission, pour une validation définitive. Le green deal, pacte vert européen en bon français, est en marche, malgré les critiques dont il est l’objet.

Les atteintes à la nature sont nombreuses, et elles ont un coût économique de plus en plus lourd. Celui de la dégradation des sols dans l'Union Européenne, par exemple, dépasse désormais 50 milliards € par an. Des règlements visent à réduire ces atteintes, mais il convient d’aborder au plus vite la phase complémentaire, la restauration de la nature. La question des sols est déterminante à cet effet, de leur usage, de leur mode d’exploitation, à la campagne et dans les villes.
Voilà donc de nouvelles contraintes qui vont affecter des activités et des collectivités, ce qui a provoqué des résistances d’une bonne partie des députés européens, surtout à l’approche du renouvellement du Parlement. Mais les avantages sont nombreux, et les contraintes, si elles ne sont pas du fait des lois humaines, se manifesteront du fait des lois de la nature. Il vaut mieux anticiper et piloter l’incontournable transformation de nos pratiques, plutôt que se les faire imposer par des évènements incontrôlés et douloureux.

Globalement, les investissements pour la restauration de la nature sont une bonne affaire. « Nous devons mettre un terme à ce mythe selon lequel la protection de la nature ne serait qu'un coût sans rendement. Au contraire, chaque euro investi dans la restauration se traduit par 8 euros de gains, liés aux avantages d'un écosystème sain, affirme Virginijus Sinkevicius, commissaire européen chargé de l'Environnement, des Océans et de la Pêche. 8 euros est une hypothèse basse, prudente. Le retour d’investissement monte jusqu’à 38 € selon le type d’écosystème. Pour prendre un exemple, les avantages attendus de la restauration des tourbières, des marais, des forêts, des landes et des fourrés, des prairies, des rivières, des lacs et des zones humides côtières, sont estimés à plus de 1 800 milliards €, pour un coût d'environ 150 milliards €.

Les avantages sont toutefois diffus, souvent collectifs. La santé, la productivité des sols, le climat, la disponibilité d’eau douce, l’activité touristique, représentent des bénéfices à la fois privés et publics. La crainte de les voir passer sans en profiter pousse certains secteurs à défendre un statu quo. C’est le cas de l’agriculture dite conventionnelle, dont le modèle économique privilégie les grandes surfaces et le machinisme alors que la restauration conduirait à la plantation de haies et à redécoupage des exploitations. Ils craignent une perte de surface cultivable. Ils ont du mal à croire les scientifiques qui affirment que les infrastructures agroécologiques qui couvriraient 10 % à 20 % de la surface agricole auraient un effet neutre à positif sur la productivité alimentaire, en plus des bénéfices pour la biodiversité. Le « double dividende » est toujours suspect.

A l’inverse, un groupe de grandes entreprises, dont certaines ne s'étaient pas fait remarquer pour leur amour de la nature, bien au contraire, ont manifesté leur soutien à cette loi européenne. Il y a bien sûr des arrière-pensées, notamment cultiver leur image et ménager leur réputation, prendre place parmi les acteurs qui négocieront les modalités d’application de la loi, mais cet engagement dénote une prise de conscience de leurs intérêts. La dégradation de la nature met en danger « les fondations de nos activités économiques » déclarent ces 67 entreprises, parmi lesquelles figurent Nestlé, Coca-Cola, Accor, Unilever, Ikéa, Danone, et bien d’autres encore. La restauration de la nature est devenue un enjeu économique, en plus de sa dimension éthique. Les bénéfices attendus des investissements au titre de la restauration sont espérés par ceux qui les soutiennent, et les grands groupes se positionnent dans cette perspective. Le rendement de 8 pour 1 au minimum leur semble suffisamment crédible pour qu’ils s’engagent.

Entrer dans la logique de la restauration suppose souvent un changement de fonctionnement pour les entreprises. Ménager le patrimoine naturel, veiller à sa prospérité, est une préoccupation nouvelle pour tous celles qui ne cherchaient qu’à en tirer le maximum de bénéfices. Une nouvelle manière de considérer l’activité humaine et ses conséquences. La difficulté est grande, pour beaucoup d’entreprises, de toutes tailles, de transformer la « culture d’entreprise », souvent héritée des fondateurs et influencée par les financiers. C’est pourtant l’épreuve que devront affronter la plupart d’entre elles, pour croître et embellir dans le monde qui se dessine. Le développement durable, c’est un nouveau mode de penser.

Edito du 19 juillet 2023

Commentaire de Yves Poss, en date du 19 juillet 2023

La gestion forestière n’est pas directement évoquée, dans son évolution nécessaire, notamment pour « ménager » les sols. Il ne s’agirait pas seulement de corriger certains choix de gestion, comme la « transformation » de peuplements par coupe rase, parfois abusivement retenue, et aidée par l’État. Mais d’analyser comment l’organisation de l’exploitation, donc le système de vente des bois, et la rémunération des bûcherons et débardeurs à la quantité mobilisée, et non pas à la qualité du travail fait,  peuvent amener à dégrader les tiges en réserve, les milieux (associations végétales), et surtout les sols.

À mon sens, il faudrait analyser l’organisation même, le partage des tâches, pour retenir un « système » vertueux.

Qui en a fait l’analyse complète (méthode de l’arbre des causes, par exemple), pour proposer des alternatives aux pratiques actuellement dominantes ?

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