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Grands fonds : exploitation ou exploration ?

La tentation est forte, et elle ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, le premier organisme scientifique créé en France sur les fonds sous-marins évoquait clairement l’objectif : le CNEXO, centre national pour l’exploitation des océans, comme l’organisme actuel, l’IFREMER, institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, n’hésitent pas à mettre en avant le mot Exploitation. Il aurait été plus logique de choisir le mot Exploration, pour un monde où les inconnues sont nombreuses, mais non, dès que la présence de nodules métalliques a été confirmée, il a fallu l’exploiter, avant même de l’avoir explorée. Tirer toujours plus de ressources de la planète. Sans doute une manière de retarder le fameux jour du dépassement, le jour de l’année où l’humanité aura consommé tout ce que la planète peut produire en un an, le 2 août pour cette année 2023, en légère amélioration, mais il était le 1er octobre en l’an 2000. La tendance reste la même, cherchons de nouvelles ressources, plutôt que mieux utiliser celles aujourd’hui disponibles. Une fuite en avant.

L’exploitation minière des fonds marins est à l’ordre du jour. Une instance internationale en a la responsabilité, l’autorité internationale des fonds marins, AIFM. La pression est forte de la part de certains pays d’autoriser l’ouverture de chantiers dans les abysses, et d’autres s’y opposent ou demandent des garanties. C’est que la planète forme un tout, et toucher à telle ou telle partie a des conséquences sur d’autres. Fouiller les fonds marins va bouleverser les équilibres dans un milieu largement inexploré, et qui recèle surement bien d’autres ressources. La conséquence en sera également de produire des mouvements de sédiments et de matériaux qui monteront à la surface ou dans les couches où prospère la vie marine que nous connaissons. Ce sont tous les écosystèmes océaniques qui seront touchés.
Les biologistes ont identifié des milliers d’espèces vivant au contact du plancher océanique, dans ces grands fonds objets du désir. Une infime minorité a été décrite, et leur fonctionnement dans un milieu a priori très hostile est un mystère dont la clarification pourrait nous être très utiles en ces temps de dérèglement climatique. Le vivant revêt des formes inédites, qu’il nous faut comprendre. Plus près de la surface, c’est la capacité des océans à capter et stocker des gaz à effet de serre qui est en jeu, et ce n’est pas le moment de prendre des risques sur ce point. Les appels à la prudence sont nombreux, allant du moratoire à l’interdiction pure et simple d’exploitation.

Il est question d’un code minier qui régirait l’exploitation des grands fonds, mais il a du mal à émerger. Pour l’instant, toute décision a été repoussée à une assemblée générale de l’AIFM, dans un an. C’est dans ces circonstances que le principe de précaution prend tout son sens. Des enjeux graves et irréversibles dans une situation d’incertitude. Il s’agit alors de lever les incertitudes, et de lancer les travaux nécessaires pour cela. Un principe de maitrise des risques dont l’application semble s’imposer avant de lancer une exploitation dans l’inconnu.

Les grandes nations dépensent beaucoup d’argent pour explorer l’espace. Ce n’est pas le mot exploitation qui est en vogue pour les étoiles, mais conquête. Ce n’est pas mieux, d’autant que des objectifs militaires sont très présents aux côtés des « civils », dont le but est de coloniser des planètes et d’exploiter (nous y revenons) leurs ressources. Sans doute parce que moins spectaculaires ou moins visibles, les fonds marins semblent moins attirer l’attention et les capitaux. Ils sont largement méconnus mais ils participent au fonctionnement de la planète, à ses grands équilibres aujourd’hui fragilisés par le réchauffement climatique et la chute de ma biodiversité. Un grand programme, en coopération internationale, d’exploration de cette partie de notre monde ne serait pas du luxe. Des recherches existent aujourd’hui, mais nous sommes loin du compte si l’objectif est d’exploiter ce qui représente la plus grande part de la surface du globe.

Il a fallu 18 ans de négociations multilatérales, pour obtenir un traité international sur la biodiversité marine. Le mot Exploitation ne figure pas dans son titre, mais le mot Utilisation, associé à un autre, Conservation. Les deux vont de pair. Un traité voté à l’unanimité par 193 États le 4 mars 2023, au siège des Nations unies à New York.
Le communiqué des Nations Unies annonçant sa mise en application, fixée au 19 juin de cette année, mentionne bien tous les apports de la biodiversité marine : « L’utilisation de la haute mer procure à l'humanité des avantages inestimables sur les plans écologique, économique, social, culturel, scientifique et de la sécurité alimentaire ». S’y ajoute l’alerte sur la « pression croissante due aux activités humaines, à la pollution (y compris sonore), à la surexploitation des ressources, au changement climatique et à la diminution de la biodiversité ». Une approche qui conjugue l’utilisation des ressources au profit de l’humanité et la prospérité de la planète. Une approche qui conviendrait bien aussi aux grands fonds marins.

Edito du 9 août 2023

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