Au-delà du PIB
Les prévisions de croissance pour 2023 semblent bien ternes, ce qui inquiète les économistes. Doit-on s’en inquiéter dans une perspective de développement durable ?
La question préliminaire est croissance de quoi ? S’il s’agit de l’objectif profond des politiques économiques, ce doit être le bien-être. Mais il y a souvent confusion entre production et bien-être, la première est-elle un bon indicateur du second ?
Dans les discours les plus courants, le mot croissance est associé à un autre, sous-entendu, production. Il s’agit en fait du PIB, produit intérieur brut, indicateur vedette de la santé économique d’un pays. Un indicateur contesté, pour plusieurs raisons. Il additionne le bon et le mauvais (les accidents de la route le font grimper, par exemple), il n’est pas représentatif du bien-être : Ce n’est pas parce que le PIB est multiplié par deux au cours d’une période que les populations vivent deux fois mieux. Les économistes se sont attelés à la tâche pour en trouver un meilleur, des commissions ont été créées à cet effet, avec des prix Nobel d’économie notamment, d’autres indicateurs ont été proposés, tels que l’IDH (Indice de développement humain) ou le HPI (Happy Planet Index), rien n’y a fait, le PIB résiste.
Dans un esprit « développement durable », nous sommes amenés à partir de la satisfaction des besoins. Besoins du présent et besoins des générations futures. Des besoins et des envies pourrait-on dire, les secondes pouvant rapidement devenir des besoins. Le bon indicateur de croissance nous renseignerait alors sur la capacité à répondre à ces besoins, et sur la satisfaction ressentie. Nous retrouvons là le sens du sous-titre du rapport au Club De Rome Facteur 4 ( ), « deux fois plus de bien-être, en consommant deux fois moins de ressources ». Mais comment réduire à un seul chiffre la complexité d’une telle approche, intégrant le présent et le futur, la diversité des perceptions du bien-être, le sort des plus démunis, et bien d’autres paramètres encore ? D’autant que la perception, le ressenti, sont par nature fluctuants dans le temps et selon les groupes sociaux. Nous avons donc retenu le PIB plutôt que le BNB, bonheur national brut, qui n’est en vigueur qu’au Bouthan.
Le PIB résiste parce qu’il est infiniment plus simple à calculer que le BNB, qu’il s’appuie sur des données réputées objectives, et collectées régulièrement pour de multiples raisons, notamment fiscales. C’est aussi du fait du lien entre volume d’activité et emploi. Un lien grossier, il y a de la croissance sans création d’emploi, et de la création d’emploi sans croissance, mais un lien quand même, qui suffit à motiver les dirigeants politiques toujours sensibles à la question du chômage. Créer de l’emploi est une préoccupation majeure, qui pousse parfois à des mesures contestables illustrées par les aventures du sapeur Camember, l’emploi pour lui-même, et non pas pour répondre aux besoins de la société. Produire pour produire, et l’emploi pour l’emploi, mêmes dérives, qui éloignent la réflexion des objectifs de bien-être. A l’inverse, la recherche de sens, pour les activités, pour le travail de chacun, dont nous sentons aujourd’hui monter l’exigence, nous renvoie à une approche durable. Mais le PIB suit son chemin sans souci de là où il nous conduit.
Une des vertus du PIB est de servir de référence pour voir où passe notre argent. Il en été question lors du débat sur les retraites, quelle part du PIB pour assurer lesdites retraites ? Quelle part de notre richesse nationale la société accepte-t-elle de consacrer aux anciens ? D’autres questions du même type pourraient être posées, quelle part pour la santé, quelle part pour l’éducation, pour la recherche, pour l’investissement, etc. Le PIB devient ainsi un instrument d’analyse propre à orienter nos choix. La décision de doubler le budget de la Défense, en passant de 2 à 4% du PIB conduit à réduire la part d’autres secteurs, pour prendre une illustration dans l’actualité..
A l’inverse, le PIB ne représente que la moitié environ de notre activité réelle. La production domestique, les échanges non monétaires, lui échappent, alors qu’elles contribuent pour une bonne part à notre qualité de vie. La croissance mesurée à l’aune du PIB semble l’ignorer, alors qu’une réponse à la stagnation pourrait se trouver dans cet autre univers. La résilience de la société, sa capacité à s’adapter à des situations inédites, sont directement attachées à cette économie informelle. L’entr’aide entre voisins ou interfamiliale, le jardin potager, le prêt de matériels divers, et bien d’autres pratiques courantes sont source de bien-être, que le PIB ignore, et qu’il convient de préserver.
Edito du 28 juin 2023
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