Une vérité qui dérange
Nous savons, en psychologie sociale, que la vérité a du mal à s’imposer face au vraisemblable, aux images que les intéressés, grand public ou spécialistes, ont dans leur tête. Le développement durable souffre de cette loi dictée par l’expérience, et il faut bien dire que la communication sur le sujet n’arrange pas les choses. L’accent mis sur les dangers qui nous guettent provoque souvent le déni, l’opinion n’étant pas prête à recevoir un message porteur d’angoisse ou de renoncements. Comment voulez-vous que de bons citoyens, travailleurs consciencieux, qui ont eu pour objectif depuis leur jeunesse d’atteindre le niveau de consommation des cadres supérieurs, abandonnent brutalement tous leurs espoirs ? Comment peuvent-ils accepter qu’ils se sont trompés, qu’ils ont « perdu leur vie à la gagner » ?
L’adhésion du plus grand nombre au changement est la condition du succès. Le sentiment que l’avenir exige une forme de déclin, de perte de pouvoir d’achat, une sobriété perçue comme de l’austérité, est un obstacle à cette adhésion, souvent plus formelle dans les sondages qu’acceptée au fond de soi. Et pourtant, ce sentiment de régression repose plus sur des impressions que sur l’observation. Le vraisemblable l’emporte encore sur le vrai, et tous ceux qui voudraient que rien ne change, c’était mieux avant, exploitent cette tendance sans vergogne.
Tout d’abord, voilà l’idée que l’environnement coûte cher. Idée confortée par tous ceux qui calculent le prix de la transition sans évoquer celui de l’immobilisme. C’est le non-environnement qui coûte cher, comme on l’a vu pour la santé. Rappelons le coût de la pollution de l’air, 100 milliards d’euros chaque année, celui du bruit, encore plus, sans parler du coût des sécheresses, inondations et autres cyclones dus au réchauffement climatique. Il faut le répéter : l’investissement « environnement » est une bonne affaire. Il faut adapter nos économies et nos modes de financement à cette réalité, c’est une question d’institutions ou d’instruments comme l’adoption d’un prix du carbone ou d’une « écologisation » de la fiscalité.
Au-delà de l’environnement, la vertu sociale semble aussi une bonne affaire. L’OCDE nous le dit avec ses travaux sur les inégalités. Celles-ci seraient défavorables à la croissance. Equité sociale et prospérité économique ne sont pas ennemies, c’est le contraire, ils vont ensemble. Itou pour l’immigration, toujours selon l’OCDE. Ce serait plutôt un atout économique qu’un poids comme certains s’évertuent à nous l’imposer. Continuons sur les discriminations, avec France Stratégie. Elles nous coûtent aussi très cher, plusieurs points de PIB.
En définitive, tout ce qui apparait comme un effort, une bonne action, un sacrifice ou un frein à notre épanouissement ne l’est que parce nous n’avons qu’une vue partielle, et souvent des œillères et des a priori. La vérité, qui dérange des conservateurs qui voudraient revenir au bon temps d’une France dominante, avec son « empire », c’est que ces gestes représentent un investissement, une prise de participations sur l’avenir. Une affaire d’entrepreneurs, économiques, sociaux, culturels, politiques, qui construisent le futur, en intégrant les tensions qui traversent le monde, tant pour les humains que pour la planète.
C’est cette vérité qu’il nous faut mettre en avant, pour casser une vision biaisée d’un développement durable ascétique et finalement inacceptable. Lutter contre un ressenti souvent manipulé par les forces conservatrices n’est pas chose facile. Il faut se donner une stratégie, trouver des alliés, donner à voir des lendemains qui chantent aux oreilles de tous ceux qui ont cru à une croissance matérielle infinie. Offrir d’autres perspectives, qui donnent envie d’avancer et de changer de mode de vie pour aller dans le sens de l’histoire, et même y contribuer. Et surtout, éviter les messages d’angoisse qui poussent à l’enfermement, au repli sur soi, à l’érection de murs, et à une culpabilisation insupportable. Le développement durable, c’est du bonheur ! même si ça dérange.
Edito du 9 février 2022
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