Une petite musique
Il y a bien d’autres raisons de souhaiter une croissance démographique. Des raisons idéologiques notamment, pour donner à Dieu de nouveaux fidèles, ou bien au motif « qu’il n’y a de richesse que d’hommes », comme disait Jean Bodin. C’était au XVIe siècle… Des raisons culturelles, perpétuer un nom, une lignée, le culte des ancêtres. La question des retraites, aussi, au titre de l’équilibre des comptes. Il est vrai que la croissance démographique facilite les choses. Intégrée dans nos cultures comme naturelle, elle résout d’elle-même un tas de problèmes, mais nous savons aujourd’hui qu’elle en pose d’autres. Elle n’est pas durable, dans tous les sens du terme.
La surpopulation, qui préoccupait Platon, autrefois sensible à l’échelle de communautés isolées comme les îles du Pacifique, concerne à présent la planète entière. Il y a bien des esprits forts qui vous diront qu’il suffit d’envoyer les surplus dans d’autres planètes, comme jadis nous avons envoyé les forçats peupler les colonies, mais cette solution risque fort d’être limitée en nombre, sinon illusoire. La croissance démographique est une des variables clés pour un monde durable, et il semble bien que la petite musique qui se répand l’ait oublié, obnubilée par des préoccupations d’ordre identitaires. Quand une nation, ou un groupe social, se sent menacé, son premier réflexe est de faire des enfants. Comme de nos jours tout le monde se sent menacé, les natalistes reprennent de la vigueur. La peur du grand remplacement, la coexistence à risque des différents enfants d’Abraham, la volonté farouche des Américains de rester la première puissance économique mondiale, et celle de la Chine de lui prendre sa place, le mythe de la Grande Russie, la mode est à l’intensification de la natalité. Et il y a longtemps que les « occidentaux » prêchent la limitation des naissances dans les pays du Sud, au risque toujours tenace de se voir traités de néocolonialistes et de vivifier l’exigence des jeunes nations à s’affirmer.
La petite musique s’étend à travers le monde au rythme du son du canon. La globalisation accentue la tendance en provoquant, en réaction, le besoin éprouvé par de nombreuses communautés de retrouver ses origines et sa culture traditionnelle, souvent associées à des traditions et des modes de vie issus du passé. De nombreux exemples montrent que la vigueur de la vie locale peut, à l’inverse, ouvrir des perspectives encourageantes, mais la nostalgie et la peur de l’inconnu poussent plutôt vers les modèles anciens. « C’était mieux avant ». Il n’y a de richesse que d’hommes est souvent interprété sous l’angle quantitatif. La « chair à canon » n’est jamais loin.
Interprétons la formule dans un mode qualitatif. Oui, la richesse réside dans les hommes (et les femmes, évidemment), mais ce n’est pas leur nombre qui importe, mais leur culture, leur savoir-faire, leur capacité à s’ouvrir au monde et à innover, à faire face aux imprévus. Ce n’est pas avec 1% de la population mondiale que la France restera la « grande puissance » titulaire d’un siège permanent au Conseil de sécurité. Il faut jouer sur d’autres registres, spécifiques et enviés des autres nations, adaptés aux défis de ce siècle au lieu de suivre des chimères d’un autre temps. Abandonnons la logique du nombre, elle ne nous vaut rien. La petite musique démographique qui se propage sournoisement se trompe de registre.
Edito du 13 juillet 2022
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