Une occasion de se surpasser
Cette pression que la COVID a exercée existe pour beaucoup d’autres phénomènes, comme le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité. Leur avancée est lourde de conséquences, ils feront d’innombrables victimes, mais ils progressent lentement, leur visibilité n’est pas aussi violente que celle de la COVID.
Nous sommes sous pression pour la décarbonisation des activités humaines. Nous le savons, mais nous ne voulons pas risquer de désorganiser l’économie. Nous nous donnons du temps pour la transition, et acceptons régulièrement des reports d’échéance dans les différents plans que nous adoptons. Comme l’a dit la comtesse du Barry, « Encore un moment, Monsieur le bourreau ». Le changement est assurément nécessaire, mais plus tard, s’il vous plait.
Idem pour la biodiversité. Nous connaissons aujourd’hui les menaces qui pèsent sur de nombreuses espèces, et leurs conséquences sur l’espèce humaine. La disparition des coraux, par exemple, phénomène hélas bien engagé, affectera durement les populations marines dont la moitié de l’humanité se nourrit.
Il est urgent de réagir, mais les résistances au changement sont fortes et nombreuses. Elles nous amènent à retarder régulièrement les mesures à prendre, qui apparaîtront de plus en plus sévères, à la mesure des retards accumulés. L’expérience et l’observation des faits nous montrent par ailleurs que la répétition de l’alerte sur ces deux phénomènes, le climat et la biodiversité, ne donnent pas les résultats souhaités, puisque la dégradation se poursuit, inéluctablement pourrait-on craindre.
Et pourtant, nous connaissons une bonne partie des solutions, des moyens pour enrayer cette mauvaise spirale. Des changements structurels, qui seront bien sûr des épreuves, mais qui nous ouvrent une nouvelle ère de l’histoire de l’humanité. Le changement comme un investissement pour l’avenir des humains et de leur port d’attache, la planète, et non comme une punition parce que nous aurions péché. Beaucoup montrent du doigt les fameux lobbys, coupables de toutes les turpitudes pour préserver leurs intérêts. C’est certainement vrai, mais ne nous faisons pas d’illusion. Toute la société rechigne à changer, y compris les plus démunis qui s’attachent au peu qui leur reste. « On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on va gagner » est un avis largement partagé.
La crise provoquée par l’agression de l’Ukraine par la Russie a des effets directs sur nos économies et notre confort, nos modes de vie en général. Au cœur du problème, le gaz russe, dont nous ne pouvons nous passer à l’échelle européenne. La pression si efficace dans le cas de la COVID pourrait-elle, sous des formes adaptées, se transposer pour le climat et la biodiversité ? La transition, qui prend tellement de temps, pourrait-elle être accélérée, à la suite de la pénurie de gaz ?
La hausse constatée du covoiturage est une bonne illustration de ce que nous pouvons faire à titre individuel. Quand le prix des carburants augmente du fait des fluctuations habituelles, tout le monde proteste vigoureusement, pour ne pas changer ses habitudes. Que fait le Gouvernement ? La solution est attendue d’en haut. Il est vrai que le discours dominant des dirigeants de tous bords étant « qu’il fait « protéger les Français », nous ne sommes pas encouragés à faire des efforts et à chercher nous-mêmes des solutions, même partielles. Le temps de la « chasse au gaspi » initié par les chocs pétroliers des années 1970 est bien révolu. Les sources immédiates d’économies, du type se regrouper pour ses déplacements ou veiller à la bonne pression des pneus de sa voiture, n’ont guère été promues, ni même évoquées dans les grands médias. Encourager les citoyens à faire preuve d’initiative, d’ingéniosité, ne semble pas avoir été une préoccupation de nos dirigeants. Une préoccupation à booster aussi et surtout auprès des professionnels, des chercheurs, des développeurs. Nous connaissons plusieurs types de solutions pour produire de l’énergie sur place, sur notre territoire ou celui de l’Europe, nous avons des pistes sérieuses pour arrêter de polluer les sols, et produire une alimentation saine de manière « plus économe et plus autonome » comme le DG de l’INRA le préconisait dès 1978, moins tributaire du gaz russe et des importations d’aliments pour le bétail. Au lieu de les mettre en œuvre, le déploiement des éoliennes terrestres et freiné, les dérogations aux interdictions de produits dangereux en agriculture sont renouvelées régulièrement.
L’exploit des vaccins contre la COVID ne semble pas en passe de se renouveler pour résister à la pénurie de gaz russe. C’est pourtant une occasion exceptionnelle de mobiliser nos savoir et nos savoir-faire pour accélérer les transitions en cours, qui ont tant de mal à bousculer l’ordre établi. Pour douloureuses qu’elles soient les crises sont souvent l’occasion de trouver de nouveaux équilibres, et de réaliser des changements impossibles en temps normal. Le défaut de gaz russe offre à l’Europe une formidable occasion de franchir un grand pas vers un futur décarboné et respectueux du vivant. Ce serait alors un merveilleux « protéger les Français », et même les humains en général, pour aujourd’hui et pour demain, conçu et réalisé par les intéressés eux-mêmes.
Edito du 6 avril 2022
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