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Prolongations

Les crises sont une occasion de changer. Passer d’un équilibre ancien qui flanche, à un nouveau à imaginer et mettre en place. Se raccrocher au passé, faire « comme avant » le plus longtemps possible, conduit à une double peine, payer cher, et entrer dans une phase de déclin. C’est se tromper de futur.
Bien sûr, il y a des perdants dans le changement, et il est nécessaire de les accompagner pour les aider à retrouver une place dans la nouvelle configuration, parfois bien éloignée de leur position précédente. Mais jouer les prolongations juste pour leur permettre de ne rien changer, en pure perte, est une mauvaise interprétation de la solidarité : elle entraîne tout le monde vers le bas, et rendra plus dur l’effort à consentir pour sortir de l’ornière.


C’est pourtant ce à quoi nous assistons. La crise des énergies fossiles qui nous touche brutalement avec un enjeu supplémentaire provoqué par la guerre en Ukraine, aurait dû être le top départ d’une accélération de la transition vers un monde décarboné, maîtrise des consommations et recours aux énergies renouvelables, les plus rapides à mettre en œuvre. Au lieu de cela, nous assistons à une recherche effrénée de nouvelles sources d’approvisionnement, allant jusqu’à l’ouverture de nouveaux gisements. Le recours au gaz liquéfié, outre son propre bilan extraction-transformation-transport-retransformation, avec les impacts de chaque étape, est un exemple de ce qu’il ne faut faire qu’en dernier recours. D’autant qu’il oblige à créer des infrastructures qu’il faudra bien amortir une fois le pic de la crise derrière nous. Un investissement tourné clairement vers le passé, et de l’argent qui fera défaut pour investir sur l’avenir.
Autre exemple, l’eau douce. Le dérèglement climatique nous alerte sur ce point depuis des années. La bonne réponse est l’économie d’eau et la maitrise du cycle de l’eau. L’agriculture est au cœur du sujet, elle qui en consomme 80% et transforme le territoire, les sols, au détriment de tous les facteurs de rétention des eaux pluviales. La recherche de productions économes en eau et de techniques agricoles favorables au stockage de l’eau aurait dû être un axe majeur de développement. Au lieu de cela, c’est la prolongation des vieilles pratiques qui est à l’honneur, chercher l’eau plus profond, créer des lacs artificiels dont l’eau s’évaporera au soleil, conserver des productions gourmandes en eau, plus spécifiquement en été, comme le maïs par exemple.
Toujours en agriculture, les pesticides et les engrais. Nous connaissons leurs impacts sur les sols et la biodiversité, sur les rivières et les littoraux couverts d’algues vertes, ainsi que sur la santé des agriculteurs, des riverains des exploitations, et des consommateurs. Le discours sur leur réduction est maintes fois répété, mais toujours pour plus tard quand la recherche aura trouvé des produits inoffensifs. Une recherche qui n’en finit pas. Nous abandonnerons volontiers le glyphosate dès qu’un substitut aura été mis au point, nous dit-on. Pas question de changer nos habitudes ou notre modèle. D’autres agriculteurs ont pourtant changé de mode d’exploitation, de production, pour se passer de ces intrants dès maintenant. Ils tentent de s’inscrire dans les cycles naturels et de « faire avec » la nature plutôt que de chercher à la contrôler, et de la dominer. Mais faire « comme avant » est tellement plus facile, pourquoi changer ?
Dernier exemple, la rénovation thermique des bâtiments. Un investissement lourd, qui se prolongera sur des dizaines d’années pour mettre le parc immobilier à un niveau performant. En attendant, les comportements et les modes de vie, des interventions légères, peuvent permettre de réduire les consommations à bas coût et tout de suite. Mais le discours et l’argent se concentrent sur les travaux lourds, qui échappent le plus souvent aux habitants. Entre temps, c’est le « comme avant » qui perdure, sans aucune action sérieuse de sensibilisation et d’aide aux petits travaux pour s’attaquer immédiatement aux émissions de gaz à effet de serre, ni préparer les habitants aux travaux dont ils seront les bénéficiaires dans quelques années.
Le discours est classique, de faire d’une crise une opportunité. C’est aussi une épreuve, à laquelle beaucoup tenteront d’échapper. Ils jouent les prolongations, et font pression sur les pouvoirs publics pour qu’il en soit ainsi. Le futur attendra. L’inverse du développement durable. Les sondages le répètent : nous craignons majoritairement que nos enfants ne vivent moins bien que nous. Ce sera vrai si nous refusons de changer, si nous retardons des efforts nécessaires au changement. Ce n’est pas une fatalité. Nous vivrons mieux demain si nous acceptons de changer.

 

Edito du 11 mai 2022

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