Miracle : Energie infinie en vue !
Miracle ! l'énergie infinie et non polluante est en vue. La fusion nucléaire va nous sauver. Bientôt, le réchauffement climatique ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Tout pourra reprendre comme avant, la parenthèse se refermera. Nous avons eu chaud, sans faire de mauvais jeux de mots.
J'ai senti un grand soulagement de la part de nombreux commentateurs à l'annonce de la récente « percée scientifique » sur la fusion nucléaire, fruit des travaux d’un laboratoire californien. Je ne ressens pas le même enthousiasme pour les progrès considérables, continus et rapidement utilisables, en matière d'énergie renouvelables. Bien sûr, il reste des obstacles à franchir pour en bénéficier pleinement, mais bien moins que dans le cas de la fusion nucléaire, qui reste un pari technologique. Aujourd’hui, les renouvelables sont devenus compétitives par rapport aux énergies concurrentes, les progrès tant en performances qu’en coût, sont rapides et ne décélèrent pas. Elles sont devenues majoritaires dans le monde, en termes de création de nouvelles capacités de production d’électricité.
La question du climat exige des réponses rapides, d'ici 2030 nous disent les experts. La fusion n'apportera sa contribution que bien plus tard. Il n’y aura pas de solution « fusion nucléaire » pour la lutte contre l’effet de serre. L’engouement pour cette source d'énergie est surtout la marque de la résistance des anciens modèles. Une vision somme toute très conservatrice, grossièrement habillée en amour du progrès technique. Une vision qui, en outre, privilégie les grosses structures, centralisées par nature, à l’encontre des approches décentralisées où un collectif de citoyens, un village, a le pouvoir de s'impliquer directement dans une politique locale de l'énergie. La fusion nucléaire restera l'apanage des grandes entreprises et des états, qui y trouveront une nouvelle source de pouvoir sur tous ceux qui ne pourrons pas y accéder. Nous voyons déjà avec la fission nucléaire, la technique d'aujourd'hui, se créer des liens de dépendance, aussi bien pour la fabrication et l'entretien des centrales que pour l'accès aux combustibles et leur traitement après utilisation.
Sur un plan philosophique, il est permis de s’interroger sur ce que signifie « énergie infinie ». Un peu comme l’immortalité, un rêve ou un cauchemar ? Quelle société engendrerait une énergie sans limites ? Aldous Huxley et quelques autres se sont lancés dans l’exploration de ces futurs qui deviendraient notre quotidien. Le cinéma aussi, avec des films tels que Brazil, de Terry Gilliam, par exemple. L’énergie infinie ne serait-elle pas consacrée à renforcer le contrôle sur chacun d’entre nous, par sécurité, justement pour éviter un mauvais usage de l’énergie ? La sécurité deviendrait ainsi la première préoccupation de tout Etat, avec les risques de conflits que nous pouvons imaginer. Le nucléaire a toujours eu une dimension militaire, et la fusion n’échappe pas à cette observation. Il serait bien surprenant que l’énergie infinie n’ait pas de traduction en matière de défense.
Ajoutons que l’avenir de la planète ne se résume pas à la question énergétique. Quels effets l’énergie infinie aurait-elle sur les ressources naturelles, sur le vivant en général ? Nous connaissons les liens entre réchauffement climatique et biodiversité, que se passerait-il si l’abondance de l’énergie saturait la planète et ses habitants, humains ou non ? Nos consommations, déjà excessives dans bien des domaines, exercent une pression excessive sur notre environnement ; injecter plus d’énergie dans l’écosystème serait-il supportable ?
L’abondance nous conduit naturellement à des excès, à la perte de repères. Même sans limites physiques, il est bon d’instituer des courroies de rappel. Elles peuvent être culturelles, financières, réglementaires, nous en avons besoin pour éviter l’emballement, dont il serait bien présomptueux de prédire l’issue.
Décidément, l’enthousiasme des commentateurs sur l’énergie infinie produite par fusion nucléaire semble bien léger, et fortement teinté d’une vision obsolète du progrès, vestige du monde d’hier.
Edito du 21 décembre 2022
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